BillieWild

24 votes

  • Aller simple

    Carlos Salem

    8/10 Dorita n'est plus... Sonnez hautbois, résonnez musettes ! La détestable emmerdeuse qu'elle était a gagné les Enfers pour le plus grand plaisir de son mari, Octavio Rincón.
    Vingt-deux ans que ce fonctionnaire espagnol se cogne cette mégère aux allures de Méduse castratrice.
    Vingt-deux ans à supporter ces brimades et à souffrir sa présence déplaisante. Mais la vie fait parfois des cadeaux aussi inattendus et salvateurs qu'un chèque de remboursement des impôts suite à un trop-perçu. Partis en vacances au Maroc, le couple qui file le parfait désamour se voit dissolu par la mort brutale de Madame en pleine sieste (merci Morphée !). Octavio est libéré du rodéo infernal mené par sa grosse vache d'épouse. « Libéré », c'est vite dit ! le cadavre de l'horrible harpie est toujours là et il va falloir trouver une solution. Lui qui ne parle ni français ni arabe va devoir justifier l'état de sa moitié. Tandis qu'il active ses méninges pour trouver comment se débarrasser de ce lourd fardeau (au sens propre comme au figuré), Octavio voit s'opérer quelques changements en lui. Pareil au sphinx, cet esclave affranchi du joug du mariage renaît de ses cendres (enfin surtout de celles de Dorita !). Il devient combatif, gagne en assurance et voit ses attributs masculins, depuis plus de vingt ans au régime sec, affamés de chair tendre. Notre veuf , loin d'être éploré et plus fringant que jamais, se montre disposé à honorer toutes les gazelles du Maroc.
    Dans un pays qui lui est totalement inconnu, les caprices du destin vont mettre sur sa route des situations et des personnages tous plus ubuesques les uns que les autres. A commencer par Soldati, escroc argentin et inventeur d'idées supposées géniales comme la vente de glaces aux touaregs. Octavio, entraîné par le filou sud-américain, ne tardera pas à se retrouver sur des pistes savonneuses voire casse-gueule. Faute de mieux, il ne peut que se fier à cet amateur de foot et de femmes. Croiseront entre autres aussi le chemin de ce duo hispanophone : un bolivien membre de la pègre, un vieil hippie désabusé prénommé Charly, un réalisateur de film qui tourne sans pellicule ou encore un chanteur de tango dont le seul but est d'envoyer Julio Iglesias dans un monde meilleur. du moins, s'il n'est pas « meilleur », dans un monde où l'hidalgo geignard sera réduit définitivement au silence.
    Aller Simple porte en lui la démesure de la littérature hispano-américaine. On se laisse très vite embarquer dans cette épopée loufoque aux dialogues savoureux et aux personnages attachants. L'auteur, Carlos Salem, use et abuse de la dérision, du retournement de situation et d'un vent de folie aussi ardent qu'un sirocco. A tout cela déjà fort appréciable, il n'oublie pas d'y adjoindre ce supplément d'âme propre à certaines oeuvres d'auteurs sud-américains. Cette petite flamme qui, sans prévenir et au milieu d'une scène saugrenue, va vous atteindre et vous brûler un peu. Ainsi, si le comique est présent tout au long de cet attrayant roman, les sentiments ne sont jamais loin. Octavio qui goûte à cette liberté si longtemps désirée fait aussi l'expérience de l'amitié et de l'amour et découvre la vie avec un regard neuf.
    Salem signe ici une oeuvre comme il en existe peu, capable de vous faire sourire et frissonner d'une page à l'autre.

    20/01/2016 à 08:00 2

  • Voodoo land

    Nick Stone

    9/10 Miami, début des années 80, côté face : La Floride, les plages, le soleil...Côté pile, c'est une plaque tournante où cubains, haïtiens et colombiens se disputent le marché de la drogue. C'est une jungle urbaine où putes, camés, macs et dealers ne sont que lieux communs. Face à cette faune toujours plus nombreuse, La Miami Task Force tente de maintenir un semblant d'ordre. Deux flics de cette unité d'élite, le lieutenant Max Mingus et son partenaire Joe Liston doivent enquêter sur un meurtre...Un de plus dans cette cité où les trottoirs exsudent sang et cocaïne.
    Le cadavre mutilé d'un homme est retrouvé dans un parc zoologique. Les orifices de son visage ont été cousus et une carte de tarot à l'effigie du Roi d'Epées est retrouvée dans son estomac...Le Roi d'Épées, symbole d'un homme aux pouvoirs immenses...Magie noire, rituels, sorcellerie et croyances vaudoues deviennent alors l'obsession des deux flics. Les voilà partis sur les traces d 'un Roi d'Épées bien plus réel et dangereux qu'une carte divinatoire : Salomon Boukman; une légende dans la communauté haïtienne crainte et respectée de tous. Mingus et Liston se retrouvent entraîner à la découverte d'une culture dont ils ignorent tout et vont devoir tout apprendre. Et tandis qu'ils évoluent dans cette enquête sans filin, des questionnements existentiels ébranlent leurs convictions. Par un jeu habile d'introspections, l'auteur réussit à doter ses personnages d'une grande profondeur qui s'étoffe au fur et à mesure que l'on progresse dans l'histoire. La force de Stone réside dans sa capacité à rendre ces personnages terriblement réalistes et crédibles par l'évocation de leurs failles et de leurs faiblesses. Chacun d'entre eux traîne dans son sillage les souvenirs pesants d'un passé douloureux conditionnant le présent. Cependant, l'écrivain ne tombe jamais dans le « pathos » ou dans le stéréotype manichéen « gentils contre méchants ». Dans la Miami de Stone, les policiers ne sont pas toujours infaillibles et les agressés pas toujours d'innocentes victimes. Nick Stone possède l'art de l'ambivalence et l'on retrouve dans cette oeuvre toute la dualité propre aux romans de James Ellroy.
    Plonger dans Voodoo Land c'est donc faire l'expérience d'un très bon polar, sombre et on ne peut plus envoûtant. Une scène d'introduction percutante, un rythme soutenu, des personnages atypiques, une intrigue riche en rebondissements et originale classent cette oeuvre aux côtés des poids lourds de la littérature policière. En trois productions seulement dédiées au personnage de détective Max Mingus, Nick Stone joue déjà dans la cour des grands…Un auteur à suivre de très près.

    19/01/2016 à 13:34 4

  • The Blonde

    Duane Swierczynski

    7/10 Quel est le cri d'appel au sexe d'une blonde ?

    - Oh là là, je suis saoule.

    Haro sur les blagues de blondes (surtout si elles sont nulles!). Cessons de nous moquer des blondes (exceptions faites des cagoles peroxydées...De quoi rirait-on sinon?). Les blondes ont une âme , un cerveau et des sentiments...Des sentiments ? Pas toujours ! On en savait certaines fatales à l'instar de Marylin Monroe ou Jayne Mansfield. On en trouve aussi des machiavéliques, dominatrices et dangereuses. Kelly White, elle, fait partie de cette catégorie. Son credo ? le poison. Jack Eisley en fera les frais...Sa rencontre avec la belle au cours d'une soirée dans un aéroport de Philadelphie scellera son destin. La piquante blondinette, un rien taquine, prétend avoir verser du poison dans son verre à bière. Avant que cette charmante Locuste ne prenne la poudre d'escampette, elle lui annoncera qu'il lui reste à peine dix heures à vivre. Si, à première vue, Jack ne croit pas une seconde aux dires d'une inconnue rencontrée dans ces conditions, des crises de vomissements incontrôlables vont quand même le faire douter un peu. Il ne faut pas tout mettre sur le compte des frugales collations servies dans les avions! Dix heures, c'est bien court! Trop court! Et Jack n'a pas encore envie de goûter les pissenlits par la racine! le voilà parti à la recherche de cette mystérieuse femme dans les rues sinueuses de la ville de Philadelphie.
    Parallèlement, Kowalski, un agent secret aux méthodes musclées, passé maître dans l'art d'occire est envoyé en mission par l'organisation qui l'emploie. Ce nettoyeur, n'ayant rien à envier au personnage de Léon dans le film éponyme, doit retrouver la tête d'un éminent professeur décédé.Contre toutes attentes, ces deux faits ne sont pas si indépendants l'un de l'autre. Quel est le but de la mission de Kowalski? Pourquoi cette femme s'acharne t-elle sur Eisley ?
    Duane Swierczyski plonge le lecteur dans un roman vertigineux mené tambour battant. le récit, construit en courts chapitres, dédiés aux personnages principaux, insuffle un rythme soutenu et agréable. Pas ou peu de temps mort.
    Si à première vue, cette histoire peut sembler abracadabrante, la présence de souvenirs récurrents des protagonistes apporte profondeur et vraisemblance.
    The Blonde ne peut être considéré comme un polar de grande envergure, néanmoins sa trame un rien déjantée flirtant allègrement avec la science-fiction vaut vraiment le détour.
    Juste ce qu'il faut d'humour noir et d'absurde pour passer un bon moment...A condition de se méfier des blondes et de leurs charmes dévastateurs...

    19/01/2016 à 15:51 4

  • 55 de fièvre

    Tito Topin

    8/10 Une Buick fend la nuit noire marocaine fuyant avec rage les néons agressifs de Casablanca. A son bord, un homme et une femme ne comptant pas plus de quarante ans à eux deux. Les brosses d'un batteur de jazz accompagnent les cahots des pneus sur la route caillouteuse. Ce soir de 1955, Gin est trop belle, trop maquillée, presque offerte. du moins, c'est ainsi que Georges Bellanger la voit. Ce soir, il la possédera de gré ou de force. Quelques heures plus tard, Gin, souillée et ensanglantée, est découverte par de jeunes arabes qui la portent jusqu'à la cabane de Lalla Chibanya, la Vieille Dame. La guérisseuse lui administre les premiers soins avant qu'elle ne soit conduite à l'hôpital. Pendant ce temps, bercé par le ronronnement d'un train, Manu, un militaire récemment démobilisé, arrive à Casablanca, rêvant déjà de retrouvailles avec sa fiancée Ginette Garcia, dit Gin. Si Georges Bellanger a commis l'innommable, il ne compte pas être inquiété pour autant. Sa mère est puissante et fréquente un homme de pouvoir. Lorsque celle-ci recueille les confidences de son fils, elle contacte aussitôt un commissaire corrompu jusqu'à la moelle et fait pression sur lui. Après tout, Gin peut avoir été abusée par de jeunes arabes et personne n'ira contredire les autorités tant le racisme ambiant fait rage. L'arrestation d'un « coupable idéal » qui avait lui-même porté secours à la jeune femme déchaînera un raz de marée sans précédent. Les émeutes éclatent et font suppurer les vieilles blessures opposant autochtones et colons. Georges, lui, la conscience tranquille compte bien profiter du chaos général.
    Tito Topin, écrivain originaire de Casablanca, signe une oeuvre étouffante et poisseuse. Des portraits d'hommes avilis par l'alcool et le mensonge se succèdent aux côtés de femmes lascives aux moeurs légères. L'auteur, issu de la bande-dessinée, peint un Maroc meurtri à l'aube de l'indépendance. 55 de fièvre joue perpétuellement sur les oppositions à travers les points de vue des personnages mais aussi les décors urbains et ruraux ; les descriptions de Casablanca contrastant fortement avec les douars qui l'entourent. Ainsi, le visuel prime et l'accent est mis sur les jeux de lumière et d'ombre. Les lueurs aveuglantes des néons se détachent avec puissance de l'obscurité, détentrice de mystères et de secrets. Seule la violence, perpétuelle et immodérée, réunit arabes et étrangers, ville et nature, sang et larmes.
    Une intense immersion dans le Casablanca des années 50. Un polar exotique sans concession sur fond de période trouble.

    19/01/2016 à 15:53 1