BillieWild

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  • Meurtres pour rédemption

    Karine Giebel

    9/10 20h30. Elle l'attend. Elle imagine déjà ses rouages qui fendent la nuit et caressent les rails. le train, échappatoire à l'enfer dans lequel elle dépérit jour après jour. Il arrive. Lentement, la symphonie rassurante de sa mécanique s'infiltre à travers les barreaux de la cellule 119 et en gomme l'étroitesse. Marianne de Gréville est étendue sur son lit. le train la happe, l'emporte loin d'ici, dehors. Il avale les kilomètres, court comme l'héroïne qui file dans ses veines , clef vénéneuse qui lui ouvre les portes d'un Ailleurs merveilleux. Que dire à son sujet ? Malgré son prénom, Marianne est loin d'être une citoyenne exemplaire. La particule de son nom, quant à elle, est trompeuse…Elle n'a de noble que son obstination à rester debout, en vie et à ne jamais courber l'échine. Meurtrière, camée, violente, ingérable, dangereuse, monstrueuse : voilà ce qu'on dit de cette jeune femme de 21 ans. Les coups durs de la vie et le système l'ont faite « monstre ». Ses parents partis trop tôt, le désamour, l'incompréhension l'ont escortée jusqu'en Délinquance et l'y ont arrimée. Et puis survient le casse de trop ouvrant à Marianne les portes de l'enfer et couvrant à jamais ses mains de sang. La gamine prend perpète. Elle n'attend alors plus rien de la vie. Au fil des jours, l'enfermement et la solitude nourrissent la violence qu'elle réprime en son for intérieur et parfois elle explose, fruit de brimades, de rixes entre détenus, des sévices infligés par les matons. Les clopes et la came l'aident à s'évader : meilleurs alliés et pires ennemis.Il faut se procurer la marchandise et faute d'argent Marianne doit faire du troc. Tout est monnayable en taule, même son corps!Au-delà de la haine et de l'isolement, il y a pire! Il y a ce que l'on ne peut gérer, ce qui ne se maîtrise pas... La compassion, l'amitié et l'amour. Ces sentiments que Marianne, anesthésiée par ce qu'elle a vécu et ce que lui a manqué, découvre et subit. Les coups ne lui servent plus à rien...L'humanité renaît au sein de la bête qu'elle est devenue. Marianne devient humaine là, dans cette cage. Là où le système pénitentiaire broie et annihile toute humanité. Après tout, peut-être que la vie n'est pas terminée pour elle...Qui sait ce que l'avenir lui réserve...Meurtres pour rédemption est un livre qui captive et subjugue par sa noirceur. A l'image de cette Marianne, si troublante et attachante dans sa fragilité, le lecteur est fait comme un rat. Prisonnier de la tension générée par l'écriture et le rythme soutenu imposés par Karine Giébel, il retient son souffle et plonge en apnée dans cette fresque impitoyable sur l'univers carcéral.Suffocant, troublant à la limite du supportable dans certains passages, Meurtres pour rédemption ne laisse aucun répit. Un roman époustouflant, une histoire poignante autour d'écorchés vifs, un duel entre une jeune fille et la vie...Entre une jeune fille et la mort.

    19/01/2016 à 13:37 9

  • J'étais Dora Suarez

    Robin Cook (UK)

    10/10 Londres pleure ses morts. Dans le quartier de South Kensington, au 19 Empire Gate, en plein coeur d'un appartement misérable et sale, un tueur est en train de jouir dans les plaies infligées à sa victime massacrée à coups de hache, Dora Suarez, une jeune femme d'une trentaine d'années. Dans une autre pièce, la dépouille d'une octogénaire encastrée dans une horloge complète cette scène répugnante. le corps de Betty Carstairs n'est plus qu'un amas de chair et de sang.
    Deux meurtres commis par un être impitoyable et abandonné par la raison.
    Un kilomètre plus loin, Félix Roatta, un conseiller municipal trempant dans des affaires douteuses, gît à son domicile la tête emportée par une balle dum dum.
    Trois meurtres, un seul tueur ?
    Le narrateur, un agent anonyme de l'A14, mis à pied pour avoir cogné un collègue, est réintégré et dépêché sur les lieux. Une sale affaire pour un flic redoutable et « tête brûlée ». Il retrouve le journal de Dora et découvre qu'elle souhaitait se suicider le jour-même de sa mort. le flic se prend alors d'affection pour cette femme dont il ignore tout. Manifestant une empathie hors du commun, il va tenter à travers ses écrits de la comprendre et de la connaître quitte à se perdre un peu dans les méandres de son passé des plus troubles. Lui aussi, se traîne de sacrées casseroles d'ailleurs et c'est sans doute ce qui le rapprochera de la défunte.
    Parallèlement, Stevenson, un autre flic, est chargé d'enquêter sur la mort de Roatta. Rapidement, les deux hommes sont intimement persuadés que les meurtres sont liés. Ensemble, ils vont tenter de retrouver l'auteur de ces crimes sanglants. Deux flics d'exception, taillés dans le même bois brut. Deux agents qui ne bossent pas pour la gloire et ne connaissent qu'une seule hiérarchie à respecter : la justice. Entre dialogues et interrogatoires musclés, le lecteur assiste à la progression d'une enquête sombre et glauque. Dès les premières lignes, il est happé dans cette histoire qui débute sur une scène particulièrement violente. Il se prend vite d'affection pour un narrateur qui porte en lui des blessures béantes ; un homme tourmenté par les souvenirs et obsédé par Dora Suarez morte d'avoir trop vécu…Dora Suarez, jeune, belle, tailladée comme le fut Elisabeth Short surnommée le Dahlia noir dans l'oeuvre éponyme de James Ellroy. Deux personnages féminins ensorceleurs et torturés aux destins tristement similaires.
    Une intrigue parfaitement maîtrisée, des introspections brillantes, une fabuleuse musicalité au niveau de l'écriture et des dialogues acérés dotent « J'étais Dora Suarez » des caractéristiques d'un grand polar mais surtout d'un grand roman sublimé par une écriture imagée et lumineuse. Mais si la prose est éclairée, l'esprit et la main qui l'ont enfantée n'ont aucuns scrupules à entraîner le lecteur dans l'ombre…
    Vous pensiez avoir côtoyé la noirceur au cours de vos lectures? Vous n'avez encore rien lu!

    19/01/2016 à 13:35 6

  • Voodoo land

    Nick Stone

    9/10 Miami, début des années 80, côté face : La Floride, les plages, le soleil...Côté pile, c'est une plaque tournante où cubains, haïtiens et colombiens se disputent le marché de la drogue. C'est une jungle urbaine où putes, camés, macs et dealers ne sont que lieux communs. Face à cette faune toujours plus nombreuse, La Miami Task Force tente de maintenir un semblant d'ordre. Deux flics de cette unité d'élite, le lieutenant Max Mingus et son partenaire Joe Liston doivent enquêter sur un meurtre...Un de plus dans cette cité où les trottoirs exsudent sang et cocaïne.
    Le cadavre mutilé d'un homme est retrouvé dans un parc zoologique. Les orifices de son visage ont été cousus et une carte de tarot à l'effigie du Roi d'Epées est retrouvée dans son estomac...Le Roi d'Épées, symbole d'un homme aux pouvoirs immenses...Magie noire, rituels, sorcellerie et croyances vaudoues deviennent alors l'obsession des deux flics. Les voilà partis sur les traces d 'un Roi d'Épées bien plus réel et dangereux qu'une carte divinatoire : Salomon Boukman; une légende dans la communauté haïtienne crainte et respectée de tous. Mingus et Liston se retrouvent entraîner à la découverte d'une culture dont ils ignorent tout et vont devoir tout apprendre. Et tandis qu'ils évoluent dans cette enquête sans filin, des questionnements existentiels ébranlent leurs convictions. Par un jeu habile d'introspections, l'auteur réussit à doter ses personnages d'une grande profondeur qui s'étoffe au fur et à mesure que l'on progresse dans l'histoire. La force de Stone réside dans sa capacité à rendre ces personnages terriblement réalistes et crédibles par l'évocation de leurs failles et de leurs faiblesses. Chacun d'entre eux traîne dans son sillage les souvenirs pesants d'un passé douloureux conditionnant le présent. Cependant, l'écrivain ne tombe jamais dans le « pathos » ou dans le stéréotype manichéen « gentils contre méchants ». Dans la Miami de Stone, les policiers ne sont pas toujours infaillibles et les agressés pas toujours d'innocentes victimes. Nick Stone possède l'art de l'ambivalence et l'on retrouve dans cette oeuvre toute la dualité propre aux romans de James Ellroy.
    Plonger dans Voodoo Land c'est donc faire l'expérience d'un très bon polar, sombre et on ne peut plus envoûtant. Une scène d'introduction percutante, un rythme soutenu, des personnages atypiques, une intrigue riche en rebondissements et originale classent cette oeuvre aux côtés des poids lourds de la littérature policière. En trois productions seulement dédiées au personnage de détective Max Mingus, Nick Stone joue déjà dans la cour des grands…Un auteur à suivre de très près.

    19/01/2016 à 13:34 4

  • Un Tueur sur la Route

    James Ellroy

    10/10 Martin Plunkett, quatre syllabes lourdes de perversion et d'effroi. le nom d'un homme ; si l'on peut encore qualifier d'homme un individu tel que lui.
    Plunkett, trentenaire d'une intelligence rare, a en effet un penchant sordide pour la mort surtout celle des autres. Esprit dérangé aux moeurs dérangeantes, il étale sur la page ce qui a fait de lui un meurtrier à part. le lecteur est ainsi confronté au parcours de ce tueur en série, froid et calculateur. Tout est minutieusement compilé et retranscrit par Plunkett lui-même, personnage narrateur. de ses confidences sombres émane le substrat qui le conduira à sombrer définitivement dans la folie . Les épisodes troubles de son enfance, ses désirs inavoués, la progression de son aliénation, ses pulsions meurtrières, son mode opératoire et le plaisir macabre qu'il éprouve à tuer rendent le récit profondément crédible et extrêmement pesant. Rien n'est épargné, ni sa relation au sexe particulièrement malsaine, ni sa fascination pour Super Saigneur, un personnage de comic book auquel il s'identifie. de même, ne sera jamais passé sous silence, le « cinéma intérieur », sorte de refuge mental dans lequel Plunkett s'isole pour échapper aux autres.
    La gâchette de James Ellroy fait une nouvelle fois mouche ; ce grand maître du noir n'hésitant pas à viser le lecteur à bout portant. A coup de scènes difficilement supportables, d'introspections sinueuses et d'écrits puissamment provocateurs, il construit le parcours d'un serial killer plus vrai que nature. le parcours sanglant de ce sextueur, comme les journalistes aiment à le nommer, est jonché d'articles de presse et de rapports de police. Cette documentation habilement insérée apporte un surcroît de crédibilité au récit.
    Une oeuvre glaçante, promesse d'une rencontre hors du commun et de quelques nuits blanches.
    Un personnage hors norme, un auteur extra-ordinaire pour un roman des plus atypiques.

    19/01/2016 à 13:05 7