BillieWild

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  • Un thé en Amazonie

    Daniel Chavarría

    10/10 Il est des trésors que l'on croit inviolables et protégés à jamais de l'avidité humaine. Au coeur de l'Amazonie, les eaux du rio Tapajós sont parvenues un temps à dissimuler les vertus de la tapagine. Issue de la feuille d'un arbre présent dans cette région du globe, cette substance possède des pouvoirs remarquables. Seules quelques tribus ont eu le privilège d'exploiter ces propriétés antalgiques et hypnotiques. L'enfer vert aurait gardé férocement ce secret si Zé Bonitinho, un homme du Nordeste, n'avait dévoilé l'existence de ce végétal à Charles Reeds; un ingénieur qui l'emploie en tant que guide sur le Tapajós. Ce brésilien, fils de l'indigence et de la malchance, connaît bien ce lieu. Il a été initié aux us et coutumes des indiens installés au sein de ce territoire. Un sorcier de la Serra de Cachimbo a partagé avec lui la sagesse des siens. Il a ouvert sa conscience aux rites séculaires et aux croyances restées inconcevables aux yeux des blancs. Analphabète et plus fanfaron que réfléchi, Zé Bonitinho révèle cette découverte à l'étranger. Reeds entrevoit déjà le potentiel de ce miracle de la Nature et devine aisément le bénéfice qu'il pourrait engendrer. L'odeur de l'argent et les désirs de puissance attirent bon nombre de vautours au pied de ces arbres extraordinaires. Heureux seront les possesseurs de la tapagine qui, par sa connaissance, atteindront l'hégémonie suprême. Et les visionnaires se rêvant détenteurs universels du pouvoir du végétal surgissent par dizaines. Entre coups bas, espionnage, plans machiavélique et mégalomanie, la course à la tapagine est lancée.
    Daniel Chavarría promène le lecteur dans les méandres du XXème siècle et le conduit à explorer les bassesses les plus obscures de l'âme humaine. du Brésil sauvage à Cuba, de l'Espagne franquiste à L'Indochine, l'auteur mène une saga enlevée ou fiction et histoire se mêlent étroitement. Construit en courts chapitres imbriqués les uns dans les autres, Un Thé en Amazonie apparaît comme un fantastique métier à tisser. Pas à pas, Chavarría tisse des fils d'Ariane surprenants, colorés et tendus à l'extrême créant une composition unique et puissante. Chaque chapitre élaboré autour de personnages, d'époques et de lieux précis vient enrichir cette oeuvre foisonnante et maîtrisée d'une nouvelle nuance. L'art de l'auteur réside dans sa capacité à maintenir une tension révélant toute son ampleur dans les dernières pages. Si l'on a parfois du mal à cerner l'utilité dans la narration de certains événements, l'ensemble du roman se coordonne et se met en place dès l'histoire finie. A l'image des héros qui hantent cette fresque tels l'inoubliable Jaime de Arnaiz, l'indépendante Jimena ou Da Silva, scientifique accompli, Daniel Chavarría livre un roman passionné et passionnant. Des confins de la forêt vierge aux heures troubles de l'Espagne, Un Thé en Amazonie se déguste tel un breuvage inhabituel aux saveurs douces-amères et étonnantes.

    20/01/2016 à 08:01 2

  • Un Tueur sur la Route

    James Ellroy

    10/10 Martin Plunkett, quatre syllabes lourdes de perversion et d'effroi. le nom d'un homme ; si l'on peut encore qualifier d'homme un individu tel que lui.
    Plunkett, trentenaire d'une intelligence rare, a en effet un penchant sordide pour la mort surtout celle des autres. Esprit dérangé aux moeurs dérangeantes, il étale sur la page ce qui a fait de lui un meurtrier à part. le lecteur est ainsi confronté au parcours de ce tueur en série, froid et calculateur. Tout est minutieusement compilé et retranscrit par Plunkett lui-même, personnage narrateur. de ses confidences sombres émane le substrat qui le conduira à sombrer définitivement dans la folie . Les épisodes troubles de son enfance, ses désirs inavoués, la progression de son aliénation, ses pulsions meurtrières, son mode opératoire et le plaisir macabre qu'il éprouve à tuer rendent le récit profondément crédible et extrêmement pesant. Rien n'est épargné, ni sa relation au sexe particulièrement malsaine, ni sa fascination pour Super Saigneur, un personnage de comic book auquel il s'identifie. de même, ne sera jamais passé sous silence, le « cinéma intérieur », sorte de refuge mental dans lequel Plunkett s'isole pour échapper aux autres.
    La gâchette de James Ellroy fait une nouvelle fois mouche ; ce grand maître du noir n'hésitant pas à viser le lecteur à bout portant. A coup de scènes difficilement supportables, d'introspections sinueuses et d'écrits puissamment provocateurs, il construit le parcours d'un serial killer plus vrai que nature. le parcours sanglant de ce sextueur, comme les journalistes aiment à le nommer, est jonché d'articles de presse et de rapports de police. Cette documentation habilement insérée apporte un surcroît de crédibilité au récit.
    Une oeuvre glaçante, promesse d'une rencontre hors du commun et de quelques nuits blanches.
    Un personnage hors norme, un auteur extra-ordinaire pour un roman des plus atypiques.

    19/01/2016 à 13:05 7

  • Voodoo land

    Nick Stone

    9/10 Miami, début des années 80, côté face : La Floride, les plages, le soleil...Côté pile, c'est une plaque tournante où cubains, haïtiens et colombiens se disputent le marché de la drogue. C'est une jungle urbaine où putes, camés, macs et dealers ne sont que lieux communs. Face à cette faune toujours plus nombreuse, La Miami Task Force tente de maintenir un semblant d'ordre. Deux flics de cette unité d'élite, le lieutenant Max Mingus et son partenaire Joe Liston doivent enquêter sur un meurtre...Un de plus dans cette cité où les trottoirs exsudent sang et cocaïne.
    Le cadavre mutilé d'un homme est retrouvé dans un parc zoologique. Les orifices de son visage ont été cousus et une carte de tarot à l'effigie du Roi d'Epées est retrouvée dans son estomac...Le Roi d'Épées, symbole d'un homme aux pouvoirs immenses...Magie noire, rituels, sorcellerie et croyances vaudoues deviennent alors l'obsession des deux flics. Les voilà partis sur les traces d 'un Roi d'Épées bien plus réel et dangereux qu'une carte divinatoire : Salomon Boukman; une légende dans la communauté haïtienne crainte et respectée de tous. Mingus et Liston se retrouvent entraîner à la découverte d'une culture dont ils ignorent tout et vont devoir tout apprendre. Et tandis qu'ils évoluent dans cette enquête sans filin, des questionnements existentiels ébranlent leurs convictions. Par un jeu habile d'introspections, l'auteur réussit à doter ses personnages d'une grande profondeur qui s'étoffe au fur et à mesure que l'on progresse dans l'histoire. La force de Stone réside dans sa capacité à rendre ces personnages terriblement réalistes et crédibles par l'évocation de leurs failles et de leurs faiblesses. Chacun d'entre eux traîne dans son sillage les souvenirs pesants d'un passé douloureux conditionnant le présent. Cependant, l'écrivain ne tombe jamais dans le « pathos » ou dans le stéréotype manichéen « gentils contre méchants ». Dans la Miami de Stone, les policiers ne sont pas toujours infaillibles et les agressés pas toujours d'innocentes victimes. Nick Stone possède l'art de l'ambivalence et l'on retrouve dans cette oeuvre toute la dualité propre aux romans de James Ellroy.
    Plonger dans Voodoo Land c'est donc faire l'expérience d'un très bon polar, sombre et on ne peut plus envoûtant. Une scène d'introduction percutante, un rythme soutenu, des personnages atypiques, une intrigue riche en rebondissements et originale classent cette oeuvre aux côtés des poids lourds de la littérature policière. En trois productions seulement dédiées au personnage de détective Max Mingus, Nick Stone joue déjà dans la cour des grands…Un auteur à suivre de très près.

    19/01/2016 à 13:34 4

  • Yeruldelgger

    Ian Manook

    7/10 Rien ne parvenait à abreuver le coeur asséché de Yeruldelgger. Jadis époux aimant, père attentif à ses filles et flic respecté de tous, il était aujourd'hui en proie à une colère sourde et aride comme les paysages de sa Mongolie natale. Il avait joué gros sur une enquête et avait perdu. Depuis il paye très cher une dette rendue inestimable car le sang ne se monnaie pas. On a beau ainsi pleurer celui des disparus, les larmes ne seront jamais assez nombreuses pour les ramener à nous. Ni les steppes de sa terre balayées par les vents, ni la chaleur du thé salé de son enfance ne lui portent un peu de réconfort. Yeruldelgger est aussi dénué de vie que les cadavres des enquêtes qu'il est amené à résoudre, étouffé par le poids de ses souvenirs.
    Le cadavre d'une fillette d'origine étrangère est découvert en pleine Mongolie sauvage par des nomades. le commissaire attaché aux traditions de son peuple promet de faire le jour sur sa mort et de l'enterrer selon les coutumes des anciens. Et pendant que les steppes pleurent l'enfant blonde, à Oulan Bator les cadavres s'accumulent. Trois chinois émasculés sont découverts dans une briqueterie et deux prostituées reconnues pour travailler avec les asiatiques ont été battues et torturées. Les cinq corps portent un signe gravé à même la peau. La montée inquiétante d'une ferveur nationaliste laisse penser qu'il s'agit de meurtres racistes. Mais dans une Mongolie tiraillée entre modernité et respect des valeurs ancestrales, la résolution de ces enquêtes va s'avérer beaucoup plus complexes que Yeruldelgger ne l'avait envisagé. Plonger dans les vies de ces défunts le mènera sur les routes jonchées de cauchemars de son passé. Si le sang a un prix, celui de la vérité est tout aussi élevé.
    Des bas-fonds suffocants de Oulan Bator, aux steppes légendaires. Des forêts ou l'animal est roi aux lieux de débauche inventés par l'homme. Des monastères où l'humilité, la force et la sagesse sont des remparts contre le monde aux yourtes chaleureuses du peuple nomade, Ian Manook promène le lecteur sur une terre fascinante et dominée par les anachronismes. Mêlant habilement assassinats sordides, histoires de famille, culture mongol et contexte socio-économique inégalitaire, il réussit à donner vie à un roman foisonnant.

    19/01/2016 à 15:26 3