Nos vies en flammes

(When These Mountains Burn)

5 votes

  • 9/10 Ray Mathis, géant barbu, a pris sa retraite de l’office des forêts et mène une vie paisible jusqu’à ce qu’il reçoive un coup de téléphone : son fils, Ricky, junkie, lui indique qu’on va le tuer. Il doit dix-mille dollars à de sordides individus. Si Ray s’acquitte de la somme indiquée, le drame survient : Ricky meurt d’une overdose. Il n’y a pas plus redoutable qu’une bête blessée, et le vieil ours décide de régler lui-même ses comptes avec une société gangrénée par les drogues. Si les montagnes aux alentours sont ravagées par un monstrueux incendie, ce qu’a préparé Ray pourrait être encore plus féroce.

    Après Là où les lumières meurent, Le Poids du monde et Ce Lien entre nous, David Joy nous est revenu avec cet ouvrage singulièrement noir. Si le pitch laisse augurer la vendetta d’un père psychologiquement mutilé par le décès de son fils unique, avec une croisade sanglante et force péripéties façon vigilante movies, il n’en est rien. Même s’il fera effectivement preuve de violences et secouera sacrément ces narcotrafiquants qu’il estime être responsables de la mort de son enfant, Ray n’est pas le personnage central du livre, car il s’agit plutôt de la société américaine. Une population livrée de son plein gré aux affres de l’addiction, des corps saturés de drogues aussi variées que tortionnaires et létales, des maux si répandus qu’ils paraissent incurables, sans compter d’abjects individus se repaissant de cette déchéance collective. De nombreux rôles apparaissent, de la nièce de Ray, travaillant pour la DEA, à certains drogués essayant de trouver la rédemption en passant par un policier infiltré. David Joy maîtrise autant la narration – âpre, amère, remarquable de densité – que le sujet, ajoutant en fin d’ouvrage un article brillant qu’il a lui-même signé sur la crise des opioïdes. La plume de l’auteur est extraordinaire, sombre, prenante, parfois haletante, avec des dialogues au cordeau et des scènes plus légères (comme le coup de cet homme si moche qu’il était capable de tuer des écureuils rien qu’en leur faisant des grimaces). Et c’est essoufflé que l’on achève la lecture de ce roman aussi brutal que concis, faisant se côtoyer les ténèbres d’un peuple qui se meurt dans le plus assourdissant des silences et l’espérance d’un avenir éclairci.

    Un livre puissant et mémorable, à l’intrigue et à l’écriture remarquables.

    14/11/2023 à 06:41 El Marco (3227 votes, 7.2/10 de moyenne) 5

  • 8/10 Encore un très bon David Joy. Lui seul sait dépeindre, avec tant de justesse et d'humanité, cette Amérique en souffrance et cette jeunesse dépendante des opiacés. C'est noir, c'est triste, c'est dur mais c'est aussi juste et dosé.

    29/08/2022 à 23:54 Nelfe (227 votes, 7.5/10 de moyenne) 1

  • 8/10 Encore un très bon roman de cet auteur qui poursuit son sans-faute : une histoire très sombre dans les Appalaches, ces montagnes qu'il vénère, avec comme toile de fond les incendies qui détruisent la région presque aussi sûrement que les drogues, le thème central, qui détruisent toute une frange de la population. Beaucoup de tensions et peu d'espoir.

    10/07/2022 à 16:58 gamille67 (2302 votes, 7.3/10 de moyenne) 5

  • 8/10 Le titre du 4ème roman de David Joy est « Nos vies en flamme ». Pas « Vos » ni « Leurs ». « Nos », car l’auteur s’intègre dans ce roman d’une puissance étourdissante et d’une vérité effrayante. Et s’il s’intègre dans ce titre c’est qu’il maîtrise bien le thème pour avoir été lui-même confronté à l’enfer de la drogue.

    Ray Mathis, retraité des services forestiers, vit seul dans sa ferme isolée des Appalaches. Sa femme est décédée d’un cancer et il ne souhaite plus revoir son fils, Ricky, qui a sombré dans la drogue. Or un soir, un terrible appel téléphonique de sa part le supplie d’apporter 10.000 $ pour payer ses dettes, et éviter ainsi de mourir. Ray pioche dans ses dernières économies et part sauver son fils. Un sauvetage vain car Ricky va décéder d’une overdose quelques jours après.
    En colère Ray va décider de le venger et de s’en prendre aux caïds locaux.

    Dans cette contrée en proie aux incendies de forêt, le lecteur découvre le désastre dû à l’industrie pharmaceutique qui a inondé d’opiacés les populations, et développé une accoutumance aux drogues des rues.

    L’Amérique sombre dans une lente mort avec un aveuglement inquiétant des autorités. David Joy y a trouvé une source d’un roman aussi noir que terrifiant. Un roman dont la lecture s’impose tant pour la beauté de l’œuvre que pour son terrible sujet.

    20/05/2022 à 17:34 JohnSteed (554 votes, 7.7/10 de moyenne) 6

  • 8/10 David Joy a été élève de Ron Rash. Aujourd'hui, il est un peu son disciple. D'ailleurs, le livre lui est dédié. Il est dès lors normal de retrouver les thématiques chères à Rash, ruralité, nature, déclassement. Plus noir, plus pessimiste et plus violent, le livre de Joy décrit le quotidien d'une zone rurale des Appalaches, en crise sociale, économique et morale car sans intérêt pour le monde moderne et son modèle économique. L’arrêt des activités traditionnelles entraine le chômage, qui entraine la misère, le désespoir et la drogue. Dernière marche : la déchéance. Quand la mort touche le fils de Ray, celui-ci va se révolter. Il sait qu'il ne changera pas le monde, mais au moins il aura fait quelque chose pour venger la mort de son fils. L'histoire se passe autour d'une tribu cherokee, épicentre du trafic. Police tribale corrompue, jeunes de tous horizons déjantés, junkies autant que zombis, victimes des trafiquants sans la moindre trace de compassion ni d'humanité qui vivent sur l'addiction de ces jeunes. Quand ceux-ci se mettent dans les ennuis, on fait pression sur les familles. Heureusement, il y a quelques figures sympathiques, le vieux tissu social des générations précédentes n'a pas encore cédé, une certaine solidarité persiste. Mais pour l'auteur, ce sont les derniers feux d'une époque. Époque qui est d'ailleurs emportée par les gigantesques feux de forêt qui encerclent le lieu de l'action. Image d'un monde qui brule dont on ne sait pas si quelque chose de bon poussera sur ses cendres. L'histoire est prenante, tragique, triste, malgré un final qui permet au père vengeur d'avoir le sentiment d'être passé à l'offensive, permettant à la police d'obtenir une victoire significative. Mais pour combien de temps ? Le style colle parfaitement à l'histoire faisant de David Joy une plume à suivre.
    Le livre contient également un article de l'auteur sur les ravages de la méthamphétamine dans les campagnes américaines, mais aussi des opioïdes et des responsabilités des laboratoires pharmaceutiques, jamais condamnés malgré des morts par dizaines de milliers. Édifiant !

    14/03/2022 à 10:09 Surcouf (363 votes, 7.2/10 de moyenne) 9