Les Abattus

  1. Mémoires d’outre-tombe

    Le narrateur n’a pas eu une vie paisible. Une enfance difficile, un père qui s’est éclipsé, un frère gangster, un beau-père puis une demi-sœur, après quoi les événements se déchaînent tout autour de lui : les voisins du dessus sont égorgés, son frère cadet s’illustre dans un braquage avec trente millions de francs à la clef, des malfrats en Peugeot 504 qui lui tournent autour… Une série de coïncidences malheureuses ? Est-il la victime de ces enchaînements meurtriers ? Leur auteur, peut-être ?

    Noëlle Renaude s’est illustrée en tant que dramaturge dans le théâtre avant de livrer ce premier roman en 2020. Dès les premières pages, on comprend que le style de l’écrivaine est unique : des phrases longues, sans le moindre discours direct ni tirets cadratins, une frénésie de virgules qui hachent les phrases, un discours indirect volontairement chaotique. Si le lecteur est, de prime abord, décontenancé, il trouvera bien rapidement une véritable énergie derrière ce récit sciemment déconstruit, érigé en trois parties (respectivement « Les vivants », « Les morts » et « Les fantômes), où l’on suit, chronologiquement, la ligne de vie de notre « héros ». Un individu lambda, dont la singularité tient dans les êtres fracassés qu’il va côtoyer et les drames qui vont soit l’entourer soit le percuter. L’univers de Noëlle Renaude n’est pas sans rappeler l’œuvre de Georges Simenon, avec des personnages croqués à pleines dents, dépeints au vitriol, et dont les interactions sont souvent croustillantes. On se plaît à suivre la route du narrateur, entre amours éconduites, destinée fade, métiers exercés sans passion, tandis que tout autour de lui, se mettent à tomber les morts. Il faudra une crémation pour que les cendres parlent et que la vérité éclate enfin. Une sacrée prouesse de la part de l’écrivaine, où le trente-troisième chapitre livre les clefs de l’intrigue, revenant avec intelligence sur les faits antérieurs, et contraignant – avec joie – le lecteur à se repasser l’ensemble de l’histoire.

    Un ouvrage particulièrement réussi, noir et serré, où la désorganisation apparente des mots souligne la trajectoire brisée des existences qu’elle décrit.

    /5