Des jours sans fin

(Days Without End)

  1. Ou la longue vie aventureuse de Thomas McNulty

    Thomas McNulty a fui l’Irlande et la Grande Famine. Il a vu trop de proches mourir de faim pour ne pas tenter la traversée. Comme tant d’autres dans ces bateaux surpeuplés où pullulent vermine, malnutrition et virus, il aurait pu arriver au Nouveau Monde les pieds devant. Il faut croire que le destin en avait décidé autrement. Arrivé en Amérique, le jeune homme rencontre rapidement John Cole. Les deux amis vivent de petits boulots puis, devenus amants, s’engagent ensemble dans l’Armée de l’Union, faute de mieux.

    Reconnu en Grande-Bretagne où il est à ce jour le seul auteur à avoir remporté deux fois le prestigieux Prix Costa (ex Whitbread) – sa deuxième distinction lui ayant été précisément attribuée pour ce titre – Sebastian Barry est moins connu en France. Joëlle Losfeld publie pourtant ses romans avec pugnacité, soit une demi-douzaine de titres depuis Annie Dunne en 2005.
    Des jours sans fin pourrait être qualifié de western. Il en partage les codes, à commencer par les scènes intenses de guerre de Sécession ou les nombreux raids contre les Indiens. Cependant, il serait réducteur de limiter cet opus à ce simple aspect tant les qualités y sont nombreuses. La sauvagerie est largement contrebalancée par une grande douceur entre les personnages, que ce soit l’amour entre Thomas et John ou, plus tard, celui qu’ils portent pour celle qu’ils appelleront Winona, une petite fille indienne seule rescapée d’un atroce massacre qu'ils décident de prendre sous leur aile. Des jours sans fin est aussi un condensé de l’histoire de la conquête de l’Ouest. Orphelin migrant en Amérique dans les années 1850, Thomas McNulty combat l’Armée des États confédérés et n’est pas insensible aux idées progressistes d’Abraham Lincoln. À une époque où, surtout pour un soldat, l’espérance de vie n’était pas fameuse, il a la chance d’assister, durant son existence mouvementée, à la création de nombreuses villes, à l’avancement de la voie ferrée vers l'Est, aux traités de paix signés avec des chefs indiens, etc.
    Les scènes de guerre sont très bien écrites et le quotidien peu reluisant des tuniques bleues saisit d’effroi à bien des égards. Sans trop en faire ni sombrer dans un quelconque prosélytisme, la relation entre Thomas et John est donnée à voir avec bienveillance, et les scènes où McNulty se travestit devant d’autres hommes à l’occasion de spectacles de cabaret sont marquantes.

    Mêlant guerre, amour, et conquête de l’Ouest, Des jours sans fin est un brillant roman, très joliment écrit, évoquant des titres comme Le Dernier des Mohicans ou Faillir être flingué. Sebastian Barry confie avoir mis beaucoup de lui dans le personnage de Thomas et « avoir mis plus de cinquante ans à écrire ce roman », solidement documenté et largement inspiré de l’histoire de son arrière-grand-oncle. Rassurons-le, le jeu en valait la chandelle.

    /5