La Colère d'Izanagi

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  • 4/10 Que Cyril Carrère Perso se rassure (si tant est qu’il soit inquiet), LA COLERE D’IZANAGI a des qualités. Déjà, il bénéficie d’une couverture très élégante, on peut y être sensible. Mais ce n’est pas tout.
    Venons en au contenu et à ce qui est essentiel à mes yeux (contrairement - mille fois hélas - aux amateurs du genre qui n’étalonne leur plaisir et n’évalue la qualité d’un thriller qu’à l’histoire, l’action, le twist final, bref, c’est ainsi) : la forme.
    L’écriture donc - la base, le B-A BA - de ce que, pour moi, doit être la Littérature. Ici, la forme est plutôt soignée (à l’image du prologue réussi), mais beaucoup trop lisse, j’ai trouvé qu’elle manquait de caractère. De tempérament. De grinta. A défaut d’avoir une “trempe”, j’ai tout de même apprécié ce soin même si j’avoue avoir grimacé sur certaines formulations que je ne pensais plus relire dans un livre. Mais passons.
    Là, où en revanche, je suis plus chafouin, ce sont les dialogues. Je n’aime pas lorsqu’il sont trop écrits, mais là, ils sont vraiment trop convenus et rendent les réactions parfois peu plausibles (celles de Suzuka quand elle découvre l’activité de Kenta). D’autres échanges m’ont carrément laissé perplexe (cf. la discussion entre Kenta et Minami à la fin, lunaire).
    En bref, cela nuit pas mal à la crédibilité, aux interactions entre les personnages qui en outre manquent de mordant, et amoindrissent aussi les scènes dites “fortes” (j’y reviendrais). Que Cyril ne se formalise pas : je trouve que 95% des auteurs français de thrillers se plante à cet exercice certes difficile, le dialogue étant presque un genre à lui tout seul.
    Je précise que ce caractère “propret” de l’écriture n’est pas forcément antinomique avec les caractéristiques d’un thriller même si, il est vrai, qu’en général, on s’attend à un style plus âpre, plus pêchu, plus musclé. J’en veux pour preuve les romans (qui peuvent sembler académiques dans la forme) de Keigo Kigashino (je précise qu’il ne s’agit pas de comparaison, mais juste de dire que le traitement formelle d’un genre peut revêtir plusieurs aspects) où le phrasé est tout en suggestion (art consommé voire épuré du dialogue) qui, finisse par tisser une ambiance et créer une espèce d’envoutement. J’ignore si Cyril, consciemment ou non, voulait reproduire (et ce n’est pas une mauvaise chose, on peut même y voir une forme d’hommage) une atmosphère à la Higashino, mais je me suis quand même posé la question.
    En revanche, j’ai davantage trouvé de finesse dans les descriptions liées au pays, aux habitations, aux us et coutumes, sans oublier à l’Art culinaire (la nourriture est quasiment une religion au Japon). D’ailleurs tout le volet culturel disséminé ça et là fut intéressant pour un néophyte comme moi, cela ne tombe jamais dans le guide touristique façon Wikipedia ou l’étalage prétentieux. Cyril est attaché au Japon où il vit, cette affection sincère est la partie réussie du livre.
    Donc, comme l’écriture m’est apparu très “sage”, forcément, je ne suis pas parvenu à ressentir un climax ; pour un thriller, bah, ça la fiche mal. J’ai lu ça et là que certains avaient trouvé le récit haletant ou oppressant. Ce n’est pas mon cas. OK, ça s’accélère vers la fin, sans être méga trépidant non plus. Si je devais citer un exemple, je prendrais la scène de la prise d’otage qui, en dépit de ce qui se joue, manque singulièrement d’intensité. Je l’ai lu sans ennui, mais sans éprouver cette urgence, ce danger, guère aidé là encore par des dialogues franchement bof (lors de la négociation).
    Mon autre problème porte sur l’autre socle fondamental d’un roman. Les personnages. Et comme pour l’atmosphère, il n’y a que l’écriture (et non l’acte - fusse t-il studieux et assidu - de rédiger et d’aligner des phrases) et seule l’écriture qui peut les rendre vivants, uniques, palpables. Presque humains.
    J’ai trouvé que nos deux principaux protagonistes manquaient de densité, que leur intériorité aurait pu être plus approfondie (sans pour autant en faire des tonnes). Je ne connais pas le Japon, mais dans mon esprit et de ce que je lis et vois, en matière de démonstrations affectives, il est beaucoup question de pudeur, de non-dits, etc.… Pour quelqu’un qui vit au Japon, j’ai naïvement pensé (et espéré) que Cyril, en matière de relation et de sentiments, jouerait davantage sur quelque chose de plus raffiné ; j’ai déploré ces dialogues verbeux qui sur-expliquent à défaut d’instiller. Par moment, c’est vrai, on perçoit un peu la douleur intériorisée de Hayato (scène dans le cimetière, au début). Hayato, je le dis en passant, dont je n’ai jamais vraiment compris ce qui le rendait si génial. Alors, oui, on nous répète qu’il est brillant, il faut donc le croire sur parole. La sensibilité de Noémie est, elle, un peu plus tangible. D’ailleurs, en parlant de Noémie, elle nous est dépeinte comme une mère célibataire débordée. Une fois encore, c’est écrit noir sur blanc, mais rien, ou si peu qui nous permette de le (re)sentir. Finalement de sa vie, on ne sait ce qu’on nous en dit. Je ne sais pas, peut-être qu’une scène d’intimité avec sa fille m’aurait aidé à être plus en empathie.
    Bon, comme c’est un thriller, je vais tout de même toucher quelques mots sur l’intrigue et ses thématiques. L’histoire n’est pas mauvaise en soi, mais je ne suis pas pleinement convaincu des motivations des “méchants”. Certes, le désespoir peut faire perdre la raison, mais j’avoue ne pas avoir bien perçu leur “logique”. J’ai aussi trouvé des facilités même si je suis assez indulgent pour ce genre de choses (je pense à la perspicacité incroyable des deux étudiantes). Quant à la thématique du Darknet, j’y connais que dalle, mais j’ai trouvé qu’on y entrait les doigts dans le nez (c’est peut-être le cas dans l’IRL) sans être vraiment emmerdé par les autorités.
    Enfin, pour finir sur une bonne note, parlons de la carte majeure de ce roman, car oui, Cyril a gardé un atout très astucieux dans sa manche. (non, je ne parle pas de la scène - expédiée - de l’aveu - interminablement bavard - du complice), mais bel et bien du petit tour de passe-passe orchestré par l’auteur. Ce n’est pas tout à fait un retournement de situation, plutôt un décalage. Le procédé est malin et bien fichu et je mentirais si je disais que je l’ai vu venir.
    Alors, cette petite acrobatie relève-t-elle la sauce de ce roman ? Clairement oui. Cela change t-il pour autant la donne sur mon appréciation générale du bouquin ? Je crains que non.
    J'en suis désolé.

    30/04/2024 à 07:38 schamak (104 votes, 6.1/10 de moyenne)