Le crépuscule des guignols

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  • 8/10 Une bande de partisans d’Heidegger vient massacrer la famille d’Arthur. Il n’en faut pas moins pour cet homme, retiré dans les vignes, pour revenir vers les chemins de la philosophie appliquée à coups de flingues. Car avant de devenir un individu rangé, il avait mis hors d’état de nuire des êtres pour qui une certaine vision de la sagesse rime avec exécution des opposants. Avec un petit gang de compères, Arthur va revenir à Paris pour régler des comptes et en finir une bonne fois pour toutes avec ces parias.

    Après Le Dolmen des dieux, Chrysostome Gourio signe un nouvel opus enthousiasmant chez l’éditeur Baleine. Le ton est immédiatement donné : les phrases sont hachées, à peu près autant que les corps percutés par les rafales d’armes automatiques qui tombent en grand nombre dans ce roman, et des alinéas entêtants viennent appuyer ce rythme cadencé. L’humour est omniprésent, dans les situations comme dans les répliques, et des clins d’œil à Marin Ledun ainsi qu’à la série du Poulpe, à travers l’intervention de Pedro, célèbre comparse de l’enquêteur libertaire, ne pourront qu’amuser les lecteurs. Les scènes d’action pétaradantes émaillent presque chaque chapitre, à faire passer la série des Rambo pour des avatars édulcorés de Bonne nuit les petits.
    Ce qui est le plus frappant, au-delà de cette énergie narrative, c’est le postulat de départ, dont Chrysostome Gourio ne se dépare jamais : faire entrer la philosophie dans un roman de ce type. Les théories se confrontent, toujours amplifiées par le prisme de la débauche de déflagrations, et chaque protagoniste possède ainsi sa propre résonance idéologique. C’était sacrément gonflé, et l’auteur maintient la barre jusqu’à la fin, au gré d’un jeu de massacre jubilatoire, invoquant au passage des doctrines qu’il met en relief sans pour autant rendre l’exercice pesant ou trop démonstratif.

    Ce Crépuscule des guignols, qui fait probablement écho au titre premier du film Les Tontons flingueurs, à savoir Le Terminus des prétentieux, s’apparente à une sorte de défi : mêler la rigueur de l’exposé philosophique à l’apparente décontraction d’un livre où les armes parlent presque autant que les personnages. Pari osé, mais pari gagné. On ressort de cet opus à la fois enchanté par les talents de l’écrivain, son audace scénaristique, et dans le même temps, son impertinence et sa désinvolture. Voilà un crépuscule tel que l’on aimerait en voir plus souvent dans le panorama littéraire.

    21/03/2012 à 19:32 El Marco (3219 votes, 7.2/10 de moyenne) 1

  • 8/10 Dans cette bataille pas très rangée entre flics et voyous tous épris de philosophie, et qui mitraillent autant à coups de concepts que de revolver, l'intrigue ne s'embarrasse pas trop de complexité (c'est une histoire de vendetta très classique) mais côté philo, c'est du sérieux. Chrysostome Gourio a longuement potassé la discipline à la fac, et il en maîtrise aussi bien les courants et les auteurs, qu’il sait les rendre accessibles aux lecteurs béotiens en la matière. Épouser les lignes de force de leur pensée pour caractériser ses personnages est la très belle invention de ce polar. Ainsi, le changement de narrateur à chaque chapitre s’accompagne d’un changement de style flagrant, parfaitement en phase avec l’idéologie du personnage qui prend la parole : sécheresse de la Raison kantienne pour Arthur, gouaille verbale de Rabelais pour Lazare, etc.
    Là où ça devient drôle, c'est que Chrysostome Gourio met tout ce savoir au service d'une histoire digne du meilleur Inspecteur Harry, avec gros flingues, répliques qui tuent, humour corrosif, scènes d'action spectaculaires et parfois improbables - mais quand on aime, on ne compte pas !
    Le tout donne un western philosophique contemporain, plutôt unique en son genre. Pour amateurs de polars qui ne ressemblent à rien de connu !

    12/02/2012 à 18:16 Dodger (471 votes, 7.7/10 de moyenne) 1