Le Silence

(Small Mercies)

  1. Un samedi soir à Boston

    1974. Dans le quartier irlandais de Boston, les autorités s’apprêtent à mettre en œuvre le procédé du busing, à savoir promouvoir artificiellement la mixité sociale et raciale en envoyant des enfants dans une autre école que la leur à l’aide des transports en commun. Les tensions gagnent la population, et l’on apprend la mort d’un jeune Afro-Américain, Augustus Williamson, visiblement percuté par une rame de métro. Au même moment, Jules, la fille de Mary Pat Fennessy, disparaît dans des circonstances inquiétantes. Pour Mary Pat, c’est le début d’une enquête mouvementée autant que la destruction de ses dernières illusions.

    Dennis Lehane a signé des ouvrages majeurs comme Gone, Baby, Gone, Mystic River ou Shutter Island pour ne citer qu’eux, et on ne pouvait que se réjouir de la parution d’un autre de ses ouvrages. Six ans après Après la chute, voilà notre attente enfin satisfaite, et de la plus belle des manières. Le Silence est un roman noir de toute beauté, ciselé et d’une incroyable force de percussion humaine, avec des personnages travaillés et d’une immense densité. Mary Pat compose ainsi une protagoniste exceptionnelle, féroce quand on s’en prend aux siens, et qui a déjà connu la mort de son fils Noel, revenu hanté de la Guerre du Vietnam et ayant succombé à une overdose. Dans le même temps, l’inspecteur Michael « Bobby » Coyne est un policier très sympathique, vétéran du Vietnam et ayant réussi à se défaire de son addiction à la drogue. Finalement, l’un des protagonistes emblématiques de ce récit, c’est la ville de Boston, et plus particulièrement le quartier de South Boston, surnommé « Southie », avec une forte communauté d’origine irlandaise. Les habitants s’y connaissent tous, les générations des mêmes familles s’y sont succédées, et si certains combats sociétaux les fédèrent, les convulsions au sein de cette microsociété pourraient bien fragiliser cette belle entente. L’auteur emploie une langue délicieuse, avec des portraits émotionnels remarquables et des répliques qui font mouche, et les plus de quatre cents pages du livre passent à toute allure. Quelques portraits au vitriol des hippies et autres bobos surgissent, pour notre plus grand plaisir, au milieu de ce décor si sombre, comme des notes bienvenues de lumière dans cette nuit opaque. L’intrigue policière y est maîtrisée, et l’on retiendra de nombreux passages marquants, comme l’interrogatoire de Rum mené par Coyne et Pritchard, ou encore le final, poignant à souhait.

    Un magnifique roman, à la fois désenchanté et porteur des belles espérances auxquelles le titre original – Small Mercies, à savoir « Petites miséricordes » – fait écho. C’est aussi un éclairage particulier, teinté de nostalgie, sur des valeurs humaines cardinales qui s’éclipsent et un monde qui s’éteint. Un authentique bonheur de littérature.

    /5