Il était une fois la guerre

  1. Peut-on encore sauver le soldat Sébastien Braqui ?

    Le Shonga, un Etat de l’Afrique moulu par la guerre civile. Sébastien Braqui va y servir quatre fois dans le domaine de la logistique en conduisant des véhicules. Un militaire qui sera aux premiers rangs de la violence et de la folie, des maux qui vont le déliter graduellement jusqu’à lui faire perdre pied. Une déchéance qui va également toucher sa femme et sa fille et dont nul ne sortira indemne.

    Estelle Tharreau, l’auteure à qui l’on doit notamment De la terre à la bouche, Mon Ombre assassine et La Peine du bourreau nous offre ici un livre inclassable. Il a la densité d’un roman noir, le côté haletant du thriller, et aussi l’aspect émotionnel de la littérature blanche. On y suit le parcours de Sébastien Braqui, jeune militaire, dont le mental va lentement s’éroder sous les coups de boutoir du conflit auquel il va participer. Sur place, il va tout connaître : la brutalité de la belligérance, les enfants-soldats – dont ce Momar Dembé dont l’existence va le hanter –, la souffrance des populations touchées. Parallèlement, il va éprouver au plus profond de ses chairs et de son âme la couardise des élites politiques, leur invraisemblable inconstance, l’infidélité des masses qui vont soutenir leurs troupes puis les vouer aux gémonies au gré des événements, et la dislocation de sa famille. Sa femme, Claire, et sa gamine, Virginie, ne connaîtront que rarement ce spectre qu’est devenu leur époux et papa souvent absent, appelé sur le champ de bataille, meurtri par le syndrome de stress post-traumatique, sombrant dans l’alcool et la drogue, purgé par sa hiérarchie qui préfère progressivement des guerriers plus aseptisés. Le Mal qui est né sur ces terres de latérite s’y est développé avant de devenir une tumeur insatiable et invincible, aura même des répercussions létales et monstrueuses sur le territoire français, une atrocité que l’on découvre, éberlué, dans le dernier chapitre. Estelle Tharreau nous propose un roman singulier, mémorable et d’une rare intensité psychologique, bien loin des poncifs du genre, proposant un bel hommage aux vétérans – quels que soient les affrontements auxquels ils ont participé – tout en apportant un éclairage lucide et d’une sidérante justesse quant aux conséquences de la cruauté, créature tyrannique se nourrissant de ses propres ravages.

    On savait déjà qu’Estelle Tharreau était talentueuse, son dernier vient confirmer notre sentiment. Mieux : il la classe parmi les écrivains dont il faut nécessairement guetter la sortie des prochaines œuvres littéraires comme une vigie surveille l’arrivée des renforts.

    /5