Innocentes

(We Were Never Here)

  1. « J’ai tué pour toi »

    Emily Donovan et Kristen Czarnecki, bientôt trentenaires, sont d’excellentes amies, et leur camaraderie date de la fac. Elles ont pris l’habitude de faire des voyages de par le monde, et leur dernier point de chute est le Chili. Et le drame survient : Kristen, agressée sexuellement, tue son assaillant et demande à sa copine de l’aider à faire disparaître le cadavre. Mais des questions se mettent à tourmenter Emily : Kristen a-t-elle dit toute la vérité ? En y repensant, deux ans plus tôt, au Cambodge, Kristen avait déjà fait couler le sang…

    Après avoir terminé ce thriller psychologique, on ne peut que saluer le talent d’Andrea Bartz. D’entrée de jeu, l’écrivaine plonge le lecteur dans un suspense très adroit, et l’on apprend à connaître Emily et Kristen, et surtout leurs relations si particulières. Si elles sont l’une pour l’autre de bonnes amies, Kristen fait figure de guide : sa présence rassure, ses idées sont salutaires, et on peut toujours compter sur elle, dans les coups durs comme dans les moments heureux. D’ailleurs, elle a déjà par le passé prodigué de judicieux conseils à Emily à propos de ses relations amoureuses, la ramenant à la raison et l’exhortant à mettre à l’écart les hommes qu’elle jugeait inadéquats. Mais Kristen est-elle aussi bien intentionnée qu’il n’y paraît ? Sous ses apparences sucrées, ne se cache-t-il pas une forme de fiel, voire une menace à peine larvée ? Suivant une très habile posologie, Andrea Bartz distille graduellement le poison du doute, de la peur puis du danger, et elle excelle ainsi dans les portraits psychologiques, offrant à ses personnages une rare densité et tissant posément la toile de la paranoïa. On se régale littéralement de ces engrenages si intelligemment conçus, de cette belle mécanique scénaristique qui va placer Emily au bord du gouffre. Il faut dire qu’à mesure qu’elle va fouiller dans le passé de sa camarade, les – mauvaises – surprises vont se multiplier jusqu’à faire naître le portrait sidérant d’une femme ambiguë, retorse à souhait, qui souhaite le meilleur pour sa partenaire… ou pas. Et le dénouement est à l’aune de l’ensemble du livre : fort, ingénieux, et même s’il n’est en soi pas particulièrement surprenant, il offre un magnifique moment de pure tension.

    Quelque part entre Thelma et Louise et Liaison fatale, un roman de très haute volée, aussitôt addictif et prenant jusqu’à ce que l’on connaisse enfin le fin mot de l’histoire. Andrea Bartz démontre avec maestria les tourments d’une amitié trop affûtée et exclusive ainsi que la nocivité de certaines relations interpersonnelles.

    /5