La Nuit du hibou

  1. Une forêt et des hommes

    Dans un village anonyme, Lee Ha-in, avocat, vient à la recherche de son frère aîné, disparu. La dernière fois que leur mère l’a eu au téléphone, Kyeong-in était en larmes et a prononcé une phrase incompréhensible à propos d’un hibou et d’arbres agressifs. Sur place, Ha-in affronte un mur de silence dans ce patelin qui ne vivote plus que grâce à l’abattage des arbres. C’est à peine s’il parvient à alerter le garde forestier In-su, qui a pris la relève de Kyeong-in à ce poste, que quelque chose ne tourne pas rond. Peu de temps après, Ha-in est mortellement renversé par un véhicule…

    Amateurs de page-turners, passez votre chemin. L’univers de Hye-Young Pyun est à des années-lumière de l’action, de la volonté d’être visuel, et des effets faciles parfois rivés au genre des thrillers. Au gré d’un récit indolent, parfois lent, l’écrivaine nous donne à voir une bourgade lovée sur elle-même, presque en état de somnolence, dont les rares commerçants (libraire, barman et blanchisseur) sont accablés de dettes qu’ils ne pensent même pas être en mesure de rembourser. Dans ce contexte anémié, In-su, le nouveau garde forestier, compose un personnage fort et atypique. Cet ancien alcoolique qui n’a plus touché à la bouteille depuis soixante-treize jours et dont les penchants éthyliques parfois furieux l’avaient poussé à projeter violemment son fils contre le mur, tâche de conserver depuis l’équilibre de son couple et de sa famille en restant loin de la gnôle. Progressivement, il va se rendre compte qu’il n’est qu’un jouet bien naïf entre les mains de trafiquants qui ont vu chez les frères Lee des menaces potentielles et en lui un parfait benêt qui ne leur posera pas le moindre problème. Hye-Young Pyun restitue avec une écriture magnifique de poésie et de lyrisme ces moments décrivant la plénitude autant que les intimidations de la forêt ainsi que les instants de débauche d’In-su ou lorsqu’il lutte contre les appâts de l’alcool. Dans le même temps, l’intrigue passe parfois à l’arrière-plan du récit, devenant presque anecdotique, au point que cela donnera probablement l’impression d’être floué d’une partie de l’intérêt de l’ouvrage. Parallèlement, le style et la plume si originaux de Hye-Young Pyun tranchent avec tant de talent avec ce qui est actuellement proposé en littérature policière qu’il serait dommage de se priver d’un entracte si délicieux.

    Un roman davantage porté sur la méditation que sur l’action et les frissons, qui panache le genre noir et le blanc, et au terme duquel vous n’entendrez jamais plus le hululement d’un hibou de la même manière.

    /5