Mange tes morts

(Hangman)

  1. La faim justifie les moyens

    Timothy Blake est un homme à part. Trentenaire, toujours fauché, il est consultant pour le FBI. En échange de ses talents extraordinaires d’observation et de décryptage des êtres humains, il a le droit de récupérer des condamnés à mort juste après la soi-disant exécution pour pouvoir les manger. Chacun son vice. Quand le jeune Cameron Hall disparaît, Luzhin, chef du Bureau et avec qui il a noué ce pacte immonde, lui demande de l’aider. Mais rien ne dit que Timothy ne va pas à son tour se faire croquer.

    Ce roman détonne, c’est le moins que l’on puisse dire. Immédiatement, le personnage de Timothy Blake intrigue puis envoûte. C’est un remarquable analyste de l’âme humaine en plus d’un observateur de génie, au point que ses déductions ressemblent parfois à celles de Sherlock Holmes. Mais l’habileté de l’auteur, Jack Heath, ne s’arrête pas là. En plus de ses qualités nécessaires aux forces de police, Timothy est également un cannibale. Il conserve les corps découpés dans le frigo et les sort à chaque fringale. Souvent, il va d’ailleurs récupérer lui-même le condamné à mort au sortir de la fausse exécution. Un personnage complexe, en vérité : ses parents ont été tués lorsqu’il n’avait qu’un an, il a ensuite été souffre-douleur dans un orphelinat, puis a passé plusieurs années dans la rue avant de trouver sa voie, lors d’une rencontre fâcheuse avec celui qui allait, par la suite, détenir un poste-clef au FBI. Timothy vit en colocation avec un type presque plus barré que lui, dealer et toxicomane, trompe ses moments d’ennui en résolvant des énigmes, et cherche surtout à échapper à sa propre avidité de viande humaine. Dit comme cela, un tel scénario ressemble à du grand-guignol. Il n’en est rien. La plume de Jack Heath est absolument remarquable d’intelligence, de malice, de noirceur, voire d’humour et d’ironie. Quelque part entre le Dexter de Jeff Lindsay et le Hannibal Lecter de Thomas Harris, avec un soupçon de Dr House version anthropophage. Un cocktail détonnant qui séduit. L’intrigue est également bien charpentée : au fur et à mesure des chapitres – tous introduits par de courtes énigmes faciles mais addictives, l’histoire prend de l’ampleur, les rebondissements s’accumulent, et le récit prend à de nombreuses reprises des voies inattendues. L’ultime chapitre est d’ailleurs un modèle de cliffhanger : on ne peut qu’avoir hâte de connaître la décision de notre si cher ogre consultant.

    Un ouvrage hautement improbable, aussi exquis que ne l’est la chair humaine pour Timothy Blake. C’est original. C’est efficace. C’est drôle. C’est violent. C’est perturbant. C’est jouissif. Bref, c’est tout bonnement génial.

    /5