Interview de Franck Bouysse (10/05/2016)
Polars Pourpres : Bonjour Franck Bouysse. Vous êtes l’auteur de Grossir le ciel, qui a été plébiscité par les lecteurs du site pour le Prix Polars Pourpres 2015. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots pour ceux qui ne vous connaîtraient pas ?
Franck Bouysse : D’abord, je tiens à remercier les lecteurs pour ce prix. J’ai cinquante ans, je suis originaire de la Corrèze, et Grossir le ciel est mon 9ème roman.
P.P. : Quelles sont vos influences littéraires ?
F.B. : J’ai emprunté un chemin de lecture qui m’a naturellement conduit à une famille d’écrivains (une famille qui s’agrandit au fil des découvertes), surtout des américains, ceux qui parlent d’espace et de territoires humains : Faulkner, Steinbeck, McCarthy, Rash, Lynch, Sallis, Shakespeare, Giono, Michon…
P.P. : Grossir le ciel nous a évoqué des auteurs comme Craig Johnson et surtout Gérard Donovan. Êtes-vous vous-même un grand lecteur ? Ce que vous aimez lire ressemble-t-il à ce que vous écrivez ?
F.B. : Je lis au moins autant que j’écris, c’est une discipline. Je crois intimement que l’on ne peut pas écrire vraiment sans être un grand lecteur, ou l’avoir été. La lecture me nourrit, et la plupart du temps mes lectures sont connectées à mes préoccupations d’auteur.
P.P. : D'ailleurs, quels auteurs/romans conseilleriez-vous à vos lecteurs/lectrices ?
F.B. : Il y en a tellement, peut-être les derniers et ceux qui m’ont marqué au fer rouge : Méridien de sang de Cormac McCarthy, Lumière d’août, Tandis que j’agonise de William Faulkner, Aucun homme ni dieu de William Giraldi, La compagnie K de William March, Les raisins de la colère de John Steinbeck, Construire un feu de Jack London, Père et fils de Larry Brown, Hamlet, La tempête de William Shakespeare, La neige noire de Paul Lynch, Le bon frère de Chris Offut, Les grands chemins de Jean Giono, toute la poésie de TS Eliot…
P.P. : La nature, les paysages, occupent une place importante dans Grossir le ciel, comme dans Plateau, votre dernier roman. On parle beaucoup de « nature writing » ces derniers temps. Cette étiquette vous convient-elle ? Sinon, comment qualifieriez-vous vos romans (polar ? Roman noir ? Drame ? Autre ?) ?
F.B. : Difficile pour moi de qualifier mes romans. Ils sont faits du minéral et de l’organique, de leurs noces, pour le meilleur et le pire. Allons-y pour « Nature Writing », puisqu’effectivement les interactions entre les humains et la nature sont essentielles à mes yeux. Shakespeare a écrit : « Nous sommes aussi la nature », il faut vivre avec elle et non pas contre.
P.P. : Vous dressez de l'hiver dans les Cévennes un tableau très rude. C'est si dur que ça ?
F.B. : Oui, l’hiver y est rude, mais pas seulement. Les saisons rabotent les hommes, en plus de leur histoire. J’aime pousser mes personnages dans leurs retranchements, voir ce qu’il en reste, comment ils s’en sortent, ou pas, pourquoi ils s’obstinent à se relever pour continuer.
P.P. : Les personnages empruntent parfois beaucoup à leur auteur. Dans quelle mesure Gus (Grossir le ciel) vous ressemble-t-il ? Vous vivez peut-être à la campagne ? Vous aimez peut-être la solitude ?
F.B. : On dit de moi que je suis plutôt taiseux, solitaire. Je peux rester longtemps dans mon coin paumé de Corrèze sans toucher à ma voiture. Je m’y sens bien pour écrire, recevoir les amis, travailler à la restauration de ma maison, m’occuper du jardin, de mes bestioles. Pour le reste, je suis aussi un homme sociable, autant qu’il m’est possible.
P.P. : En terme de réputation (et sans doute de ventes), vous semblez avoir pris une nouvelle dimension depuis que vous êtes publié par La Manufacture de livres. Pouvez-vous présenter à nos lecteurs/lectrices qui ne la connaîtraient pas cette excellente maison encore trop peu connue et nous dire deux mots de votre relation avec votre éditeur ?
F.B. : Pierre Fourniaud, qui dirige la Manufacture de livres a immédiatement cru en Grossir le ciel. Une histoire pareille, ce n’était pas évident : Deux paysans et un chien dans les Cévennes ! Notre relation est établie sur la confiance. Nous venons de territoires proches, même s’il s’est exilé depuis longtemps à Paris, il en reste toujours quelque chose. Il a une véritable vision d’éditeur et son catalogue regorge d’auteurs talentueux.
P.P. : Votre écriture est particulièrement soignée et offre des romans singulièrement poétiques. Pourquoi ce choix ?
F.B. : J’aime explorer, je ne me satisfais pas des codes. Pour moi, la littérature doit être poreuse, pouvoir mêler différents genres : polar, thriller roman noir, poésie. Je ne veux rien m’interdire pour faire passer l’émotion. La poésie est un moyen d’expression immédiat, fulgurant, une seule image peut économiser des pages inutiles et ajouter une musique unique, la véritable voix de l’auteur.
P.P. : Comment construisez-vous vos intrigues ? Combien de temps vous prend l’écriture d’un roman ?
F.B. : Je ne construis pas mes intrigues sur le papier. J’imagine que tout se fait dans ma tête, précisément quand je n’écris pas physiquement. Les personnages s’imposent à moi, certains grandissent, d’autres perdent de l’importance. Je les laisse venir, me montrer où et comment ils vivent, ce qu’ils ressentent, je le ressens profondément. Ce n’est pas toujours confortable, mais c’est ce qui me plaît, me passionne, je ne pourrai pas fonctionner autrement, travailler avec un plan détaillé n’est pas pour moi. Sinon, comment me surprendre agréablement à certains moments, et me maudire à d’autre.
P.P. : Pouvez-vous nous parler de vos prochains projets ?
F.B. : Fin septembre paraîtra un court roman à la Manufacture de livres, Vagabond, initialement paru aux éditions Ecorce, mais pas diffusé. J’en suis très heureux, car je considère ce texte comme ma profession de foi en écriture, le moment où j’ai décidé de lâcher les chevaux. En ce moment, j’écris un nouveau roman, que je considère comme une troisième saison chez les derniers indiens.
Polars Pourpres - 2016