Le Code de Jill

  1. Les langages du corps

    La jeune Jill Fouqueroy a d’abord subi du purpura rhumatoïde avant de pouvoir à nouveau marcher, et au décès de ses parents, c’est monsieur Molineux, son voisin, qui l’a recueillie et lui a enseigné un art bien particulier : reconstituer les visages des morts à partir de leurs ossements. Quand Molineux meurt, l’adolescente alors âgée de seize ans reçoit et accepte la proposition d’Herman Keiser de rejoindre Anthropolab, un laboratoire où elle pourra pleinement démontrer l’étendue de son talent. Un premier chantier l’attend : redonner une identité aux restes d’une fille décédée au XIIIe siècle durant le massacre des Cathares.

    Ce roman de Jeanne Bocquenet-Carle envoûte dès les premiers chapitres. La langue de l’écrivaine est absolument magnifique, travaillée et d’un rare lyrisme, proposant des passages que le lectorat – jeune comme plus âgé – se plaît à relire à l’envi. Le personnage de Jill est en soi une pépite littéraire : taiseuse, si longtemps cadenassée dans le giron familial puis aux côtés de son mentor anthropologue, elle ignore tout des usages du quotidien, se comporte parfois comme une autiste, évolue dans une capsule mentale où nul ne peut l’atteindre, et elle découvrira par exemple le Coca-Cola auquel elle va aussitôt devenir accro. Elle est particulièrement douée avec les techniques forensiques, apte à recréer un visage humain à partir de ses ossements, et les outils numériques mis à sa disposition par Herman vont la satisfaire au-delà du dicible. Dans le même temps, on suit le parcours de la Marie, fillette du XIIIe siècle dont on a retrouvé la dépouille si longtemps après dans un puits à Montségur ainsi que ses amours naissantes avec Pascau. Les trajectoires de nos deux héroïnes vont finir par s’entrelacer, et Jeanne Bocquenet-Carle déploie un talent remarquable pour rendre cette histoire crédible et poignante. L’ouvrage est très court – environ cent soixante pages – et il est impressionnant de maîtrise : le suspense côtoie l’émotion, la technicité se panache à la quête d’identité, et le final, si juste, permet aux routes de s’enchevêtrer.

    Un livre passionnant et bouleversant, qui chevauche plusieurs genres littéraires.

    /5