Au lieu-dit Noir-Etang...

(The Chatham School Affair)

  1. « Que s'est-il réellement passé au Noir-Étang, ce jour-là ? »

    Août 1926, Chatham, Nouvelle-Angleterre.
    L'arrivée de Mlle Channing, qui sera dès la rentrée la nouvelle professeur d'arts plastiques de l'école, ne passe pas inaperçue. Non seulement parce que les étrangers sont peu nombreux à intégrer la commune, mais surtout parce que la jeune femme est magnifique, et semble-t-il célibataire. Difficile d'imaginer alors les morts et les malheurs qu'allait causer Mlle Channing à Chatham, elle qui sera désignée par la suite par les habitants comme étant « la seule cause de tout ».

    Le récit est narré à la première personne par Henry Griswald, fils du directeur de Chatham School, désormais au soir de la vie mais âgé de quinze ans quand s'ouvre le récit en 1926. Par sa voix, Thomas H. Cook introduit le mystère peu à peu et n'a de cesse de l'entretenir, usant à volonté d'un procédé littéraire aussi énervant que jouissif : les allusions répétées au futur du type « ainsi que l'avenir le dirait ». Evidemment, un demi-siècle plus tard, Henry sait exactement ce qui s'est passé, contrairement à nous. On apprend dès les premières pages, ou dès la quatrième de couverture (d'ailleurs, évitez de la lire, elle est trop bavarde) qu'un drame va s'abattre sur la ville, que Mlle Channing en sera l'épicentre et qu'il y aura des morts. Cependant, on n'en sait guère plus, et l'auteur semble prendre un malin plaisir à nous distiller les éléments au compte-goutte. Chaque lecteur pourra rapidement se faire des films (et le « bon » n'y figurera sans doute jamais), mais pour savoir avec certitude ce qui s'est « réellement passé au Noir- Étang, ce jour-là », il faudra attendre les dernières pages. Et l'on n'est pas au bout de ses surprises.
    Thomas H. Cook est un conteur hors-pair, qui sait faire vivre ses personnages avec talent. D'Henry à Mlle Channing, en passant par Sarah – la jeune bonne des Griswald – et M. Reed – le professeur de littérature dont s'éprend Mlle Channing –, aucun personnage ne laisse indifférent. Et l'on en vient à éprouver pour eux beaucoup d'empathie, notamment au regard de la frustration que génèrent leurs vies par rapport à leurs aspirations les plus profondes, eux qui sont enfermés dans les carcans d'une société par trop rigide. Si le suspense est permanent (on ne voit pas passer les quelque 350 pages), Au lieu-dit Noir-Étang... prend aussi le temps de s'interroger, sur le sens à donner à son existence et la quête du bonheur en particulier.

    Brillamment construit – le dénouement est totalement inattendu et très bien vu – Au lieu-dit Noir-Étang... est magnifiquement écrit et rappelle à la fois les grands auteurs du 19e et les tragédies de Shakespeare. Il y a quinze ans, bien avant Les feuilles mortes et L'interrogatoire, Thomas H. Cook avait déjà écrit une merveille de roman noir.

    /5