La Fille du batelier

(The Boatman’s Daughter)

  1. « Une longue saison de douleur »

    Alors âgée de onze ans, Miranda a vu son père s’enfoncer dans les bayous de l’Arkansas. Depuis cette nuit tragique, elle a bien grandi et vit à présent avec Littlefish et la vieille Iskra. Habituée à vivre à la dure, chassant régulièrement avec arc et flèches, elle trempe dans un trafic de drogue dans lesquels sont également impliqués un pasteur aliéné et deux policiers véreux. L’équilibre de ce territoire va rapidement basculer dans la démence et le sang.

    Qui a déjà lu l’incroyable Dans la vallée du soleil sait qu’Andy Davidson n’est pas un auteur comme un autre et que ses récits sont hallucinés. On retrouve instantanément sa plume si caractéristique (longues descriptions, dialogues plutôt rares, tirets cadratins inclus dans une syntaxe réinventée) ainsi que son univers atypique. Les personnages étranges voire complètement barrés qui peuplent ce roman sont, une fois de plus, particulièrement marquants, rôdant autour de la propriété de Sabbath House. Il y a Iskra Krupin, la vieille sorcière qui s’y connaît en maléfices ; le nain John Avery ; Littlefish, ce gamin bizarre né de la forêt et doté d’écailles et de doigts palmés ; Miranda, chasseuse émérite qui n’a jamais retrouvé le cadavre de son père ; Billy Cotton, pasteur illuminé qui pleure encore la disparition de son épouse Lena ; le policier Riddle, qui a perdu un œil quand il a essayé de violer Miranda alors qu’elle était encore une gamine. La Nature compose également un protagoniste important dans ce livre, et Andy Davidson livre de magnifiques descriptions des lieux, de la faune et de la flore, avec toujours ces nuances si particulières de noirceur et d’occultisme. D’ailleurs, ce texte est on ne peut plus infernal : on y croise quelques créatures jaillies des replis des bois et de la nuit – l’auteur indique dans ses remerciements s’être inspiré du folklore russe – et l’histoire est absolument fantastique, à tous les sens du terme. De nombreux passages sont mémorables (la confrontation avec les bikers, le final de Cotton, le mot final de cet opus qui apporte une lueur d’espoir) et l’ensemble est tout bonnement fascinant. On ressort de cette lecture désarçonné, essoré, foré par tant de coups de boutoir des ténèbres, captivé par les multiples sortilèges qui cannibalisent ce bayou.

    Un roman singulier, peuplé d’âmes égarées, de démons à peine humains et de malheureux pécheurs cherchant la rédemption. Une œuvre redoutable et qui, à défaut de séduire la plupart des lecteurs, saura envoûter les plus exigeants d’entre eux.

    /5