Bazar bizarre

  1. Qui fait chanter les employés du Bazar ?

    Achille Poinçon a soixante-deux ans et une vie des plus ordinaires. Employé exemplaire, il travaille depuis près d'un demi-siècle – il a commencé à quatorze ans – au Petit Bazar Français, comme beaucoup dans les environs de La Roche-Pauffière. Quelle n'est pas la surprise de celui qui est maintenant sous-chef du rayon Bricolage-Quincaillerie lorsqu'il reçoit un beau matin un drôle de courrier. La lettre n'est pas signée. Elle est on ne peut plus claire. S'il ne dépose pas un demi-million ancien à l'endroit indiqué, « une horreur sans nom sera dévoilée ». M. Poinçon n'a pas le choix : il doit payer.

    Paru pour la première fois en 1982, ce roman de Pierre Siniac a été revu et corrigé par l'auteur à l'occasion de sa réédition chez Baleine en 1998. Aujourd'hui, il se lit encore très agréablement malgré un caractère quelque peu suranné, qui n'est pas sans rappeler certains romans de Georges Simenon – les descriptions d'un microcosme rural y sont aussi pour beaucoup. Le rythme n'est pas franchement soutenu mais l'intrigue est mystérieuse à souhait et parvient aisément à maintenir l'attention du lecteur.
    Rapidement, on apprend que d'autres salariés exemplaires du Petit Bazar Français reçoivent eux aussi de menaçantes missives. Qui est le maître chanteur ? Et qu'ont à se reprocher ces employés modèles ? C'est ce que va tenter de découvrir Séverin Chanfier – « enquêtes en tout genre dans la probité, prix étudiés » – détective privé au Puy. Cet ancien policier qui ne s'en laisse pas compter était déjà aux affaires dans Femmes blafardes, texte qualifié de « chef-d’œuvre de l'auteur » par Claude Mesplède dans son Dictionnaire des littératures policières.
    Dans ses descriptions des petites gens – on sent qu'il a pour ses personnages une affection sincère – comme dans le ton qu'il emploie – aspects volontairement caricaturaux, humour sous-jacent – l'écriture de Pierre Siniac a bien des points communs avec celle de Pascal Garnier, autre grand du roman noir français malheureusement parti trop tôt (L'A26, La théorie du panda...).

    Grand prix de littérature policière en 1981, auteur fort prolifique – on lui doit une soixantaine de romans et recueils de nouvelles –, Pierre Siniac est un écrivain aujourd'hui assez méconnu qui ne mérite pourtant pas de l'être. Avec Bazar bizarre, qui mêle roman noir et whodunit, il nous montre l'étendue de son talent, notamment du point de vue de l'imagination dont il fait montre. Les lecteurs auront beau se poser des questions pendant les deux cent et quelques pages qui composent le récit, gageons que bien rares seront ceux à trouver le dénouement de ce Bazar bizarre avant les derniers paragraphes.

    /5