Golgotha

(Gólgota)

  1. Venganza argentina

    Villa Scasso, un quartier pauvre à l'ouest de Buenos Aires.
    Olivia, quinze ans, décède des suites d'une infection après qu'une faiseuse d'anges lui ai fait perdre l'enfant qu'elle ne désirait pas avoir. Magui, désespérée par la disparition de sa fille unique, accroche une corde à linge à un arbre du jardin et décide de la rejoindre.
    Román Calavera, un jeune policier originaire du quartier, qui a bien connu Magui, ne peut pas laisser passer ça. Pour lui, ce double drame est l'œuvre d'un seul coupable, celui qui a osé mettre enceinte l'adolescente. Son collègue Lagarto a beau essayer de calmer ses ardeurs vengeresses, Calavera est bien décidé à faire payer cher à cet homme la mort des deux femmes.

    Carlos Salem, lui aussi argentin et auteur de romans noirs – on lui doit notamment Aller simple et Nager sans se mouiller – introduit dans son excellente préface le contexte de Golgotha. L'Argentine compte au bas mot dix millions de pauvres et le tango n'est qu'un cliché, tout juste bon pour vendre des cartes postales aux touristes. « La musique qui rythme et exprime la rage quotidienne de Buenos Aires, c'est le rock'n'roll. » Leonardo Oyola, par ailleurs journaliste pour la version argentine du magazine Rolling Stones, livre d'ailleurs en fin de roman une playlist pour le moins rock'n'roll.
    Scasso est l'une des nombreuses villas miseria qui entourent la capitale (ces villas, équivalentes argentines des favellas brésiliennes sont nées après la Seconde Guerre mondiale, lorsque des milliers de ruraux ont rejoint la ville pour trouver du travail et se sont retrouvés confrontés à des problèmes de logement). Pour en sortir, il faut toucher le ballon comme Maradona... ou devenir policier. Leonardo Oyola, lui aussi natif de Buenos Aires, a eu pour sa part « la chance de naître avec deux pieds gauches », ce qui l'a poussé à suivre des études puis à écrire (on lui doit Chamamé, qui a reçu à l'occasion de la Semana Negra 2008 le prix Dashiel Hammett du meilleur roman noir écrit en espagnol).
    À Scasso comme dans les autres villas, on survit plus généralement en faisant dans la délinquance. On raconte d'ailleurs que si les pasillos (les ruelles) y sont si étroites, c'est pour que les voitures de patrouille ne puissent pas y circuler. C'est au San Cayetano – un bar du quartier surnommé par les habitants le « Tiens-moi le gamin », du fait que le patron devait souvent se débarrasser de son enfant pour aller séparer les belligérants alcoolisés – que Lagarto, le policier-narrateur de Golgotha, a élu domicile. S'il a beau être conscient de se trouver sur la mauvaise pente, il ne peut se résoudre à abandonner à son triste sort son collègue Calavera, lequel semble bien décidé à supprimer cet homme qui l'obnubile. Les deux flics ont d'ailleurs tout intérêt à bien s'entendre entre eux, mais aussi avec tous leurs collègues tant les habitants du quartier sont hostiles aux patas negras, ces policiers au salaire de misère à qui il reste à peine de quoi s'acheter des chaussures à la fin du mois.

    Avec Golgotha, court roman noir – le récit compte à peine plus de cent trente pages –, Leonardo Oyola nous propose tout à la fois une sombre histoire de vengeance et une plongée dans les bas-fonds de Buenos Aires. Un texte fort et âpre mais non dénué d'une certaine beauté.

    /5