La Voix secrète

  1. L'appel de la guillotine

    Au milieu des années 1830, le criminel Pierre-François Lacenaire attend son exécution dans son cachot. Il profite du temps qui lui reste pour achever ses mémoires et ainsi envoyer ses ultimes crachats à la face de la société. Dans le même temps, des enfants sont agressés et décapités, et l'on retrouve dans Paris les morceaux de leurs dépouilles. En ces temps politiquement troublés, un policier décide qu'inviter Lacenaire à participer à l'enquête peut être un bon moyen de démasquer le tueur en série, d'autant que ce dernier semble s'inspirer des méfaits de Lacenaire...

    Les Éditions du Fantascope publient deux romans de Michaël Mention à la même date, Maison fondée en 1959 et cette Voix secrète. Dans ce dernier ouvrage, captivant, le lecteur se passionne rapidement pour les deux histoires qui s'enchevêtrent : celle de Pierre-François Lacenaire, assassin honni, qui voue une haine profonde à la société qui l'a vu naître, et celle concernant le mystérieux « Coupeur de têtes ». La langue de l'auteur est admirable, subtil mélange de poésie et d'un naturalisme assourdissant. Les lieux et ambiances sont parfaitement retranscrits, avec cette capitale aux parfums méphitiques, traversée de conflits politiques et fourmillant de mille maux, à tel point que sa population ressemble parfois à une faune. Le roman est bien court – à peine plus de deux cents pages – et se lit à la fois facilement et rapidement. Malgré le caractère subversif de Lacenaire, le lecteur finit presque par ressentir pour lui de la sympathie – ou tout du moins à ne pas l'exécrer comme le laissaient pourtant augurer ses forfaits de sang. Parallèlement, l'enquête policière est brillamment menée, et permet d'explorer une étonnante galerie de personnages, depuis les écorcheurs qui sillonnent la ville jusqu'aux policiers en passant par les autres protagonistes, la plupart issus des couches populaires. Les meurtres se multiplient, les fausses pistes également, et il faut attendre l'avant-dernier chapitre pour comprendre les motivations profondes de ces ruisseaux de sang. Indéniablement, Michaël Mention dispose d'un talent rare de conteur ; en plus d'avoir bâti une intrigue adroite, il sait fixer un physique, un lieu, une atmosphère, avec une économie de mots judicieusement choisis.

    Ce polar historique au climat ténébreux est un véritable régal. À la fois sulfureux et distrayant, bien documenté et fictif, diabolique et réjouissant, il scelle de manière indiscutable l'entrée dans l'univers de la littérature policière d’un auteur de talent qui est reçu... avec mention.

    /5