Nuit de fureur

(Savage Night)

  1. Little Bigger Story

    Car Bigelow, également connu sous le sobriquet de Little Bigger. Profession : tueur à gages. Signes particuliers : fait physiquement bien moins que ses trente ans, est presque aveugle, mesure un mètre cinquante, a des dents artificielles, et est atteint de la tuberculose. Sa dernière mission en date : assassiner, sans attirer l’attention, un indicateur qui va bientôt témoigner à un procès. Le plus simple semble être d’intégrer la pension de Peardale, que tient sa future victime, afin de commettre son forfait en toute quiétude. Mais sur place, l’attendent l’épouse de la balance ainsi que Ruth, jeune fille estropiée. Et ça ne constitue que le début des embêtements.

    De Jim Thompson, quasiment tout le monde connaît Le Démon dans ma peau ou encore 1275 âmes. Cet écrivain américain est l’un de ceux dont on continue de prononcer le nom avec déférence, même près de quarante ans après son décès. Ici, on retrouve une belle part des qualités et obsessions de l’auteur, mais avec une noirceur encore plus prononcée, comme s’il avait passé au tamis ses idées et mots pour n’en garder que les plus ténébreux. Cela commence avec un (anti)héros, tueur décomplexé qui s’apprête à remplir son contrat et finit par tomber, d’une certaine manière, sous la coupe de deux femmes, dont l’une est un peu son écho physique féminin. Ici, tout y est souillé, immoral, à la limite du grotesque. Ça boit, ça fume, ça tire des plans sur la comète en se promettant de grandes virées une fois la mission – rien de moins que l’homicide d’un être humain – réalisée. Et, à défaut de la moindre action tout au long de ce récit, on finit par se complaire dans cette fange fétide, peuplée également de personnages retors et inquiétants comme Le Patron, commanditaire de Carl, ou La Gnôle, sous-fifre en mal de reconnaissance. Et ce presque huis clos entre gens de fort mauvaise compagnie s’achève, comme il se doit dans tout roman noir, par une rédemption ou une déchéance. Ici, ça sera la chute. Brutale. À coups de hache. Dans la claustration d’une trappe. Tandis que des chèvres hurlent. Il y a parfois des épilogues si emportés et criards qu’ils parviennent, en quelques pages, à pallier de longs instants en apparence lénitifs et muets, alors que la violence s’exprime parfois ainsi, par des berceuses captieuses et des silences sournois. Assurément, celui de cet ouvrage en constitue l’un des plus vibrants exemples.

    Certains romans ne cherchent pas nécessairement à séduire. Ils produisent leur matériau brut, mal taillé et volontairement rêche, à la face du lecteur, non par arrogance ou paresse mais pour mieux mettre en exergue les affres de l’âme humaine et les hantises de son auteur. C’en est ici le cas typique avec cette œuvre plutôt méconnue de Jim Thompson. Le noir s’y fait couleur, avec ses nuances de désespoir et de finitude, au sens très large du terme. Probablement pas l’œuvre la plus accessible de Jim Thompson, et c’est peut-être en cela qu’elle en devient fondamentale.

    /5