Le Silence des repentis

(These Silent Woods)

  1. L’histoire de Finch et Cooper

    Cooper et sa fille de huit ans – bientôt neuf – vivent désormais dans une cabane blottie dans les Appalaches, à l’écart du monde. Reclus volontaires, ils sont parvenus à survivre en puisant dans les ressources des bois environnants, faisant de leur mieux pour revenir vers la société le moins possible. Si l’on ignore dans un premier temps les raisons de cet isolement, ils peuvent au moins compter sur l’apport annuel de vivres grâce à Jake. Sauf qu’à la date traditionnelle, Jake ne vient pas. Il se pourrait alors que le passé finisse par retrouver la trace du père et de son enfant, et la destinée leur jouer un tour bien étrange.

    Voilà le premier ouvrage traduit en français de Kimi Cunningham Grant, et c’est un doux euphémisme que de dire que ce roman est puissant. La plume de l’écrivaine est redoutable d’efficacité, belle et poignante, et il est impossible d’être surpris en apprenant qu’elle a obtenu deux fois le prix Dorothy Sargent Memorial Prize pour sa poésie. On apprend à connaître Cooper et Finch, dont on découvre assez vite qu’il s’agit là de faux prénoms destinés à brouiller les pistes, ce mensonge et leur confinement destinés à les préserver du passé. Mais ils ne sont pas tout à fait seuls dans leur désert végétal, puisque Scotland, un ermite mystérieux et plus enclin à la sociabilité qu’il n’y paraît, va rapidement découvrir leur présence et se lier d’affection pour eux. Kimi Cunningham Grant maîtrise parfaitement la narration, ménageant d’habiles moments de suspense et de tension, où chaque incursion dans le monde dit civilisé est une expédition autant qu’un risque qu’on leur remette le grappin dessus, sans même parler d’une affaire de disparition qui va percuter de plein fouet nos deux héros. Ces derniers sont d’ailleurs criants de vérité : denses, crédibles, aux attitudes brillamment dépeintes, avec une inclination particulière pour Finch, gamine sacrément dégourdie, aux répliques souvent sidérantes de maturité, et dont la personnalité a en partie fusionné avec la forêt. L’histoire est à la fois simple et malicieuse, faisant briller de mille feux la nature adjacente autant que les psychologies des personnages. Le final, inattendu, est en soi un pur régal : il fait délicieusement écho à l’humanité qui palpite dans les veines et artères de ce récit prenant et déchirant, portant un éclairage assez particulier sur le sens du mot sacrifice.

    Un roman brillant et touchant, tout en sobriété et en générosité, s’intercalant entre la littérature blanche et la noire. Des nuances aussi troublantes, on ne peut qu’en redemander.

    /5