Le passager de l'orage

  1. Les spectres de Cotte House

    Quand la grande écrivaine de romans à suspense Katherin Bets vient s'installer à Cotteville, toute la population est en émoi, d'autant qu'elle a décidé de louer la demeure de Cotte House, réputée pour les malédictions qu'elle a jetées par le passé sur ses occupants. L'auteur décide également d'engager le jeune Jonathan comme secrétaire particulier afin qu'il tape sur ordinateur ses manuscrits. Pour Jonathan, c'est un job d'été inespéré, bien rémunéré et salutaire, qui va lui permettre de s'extirper, même provisoirement, d'un cocon familial castrateur. Mais le sort a réservé un sort bien peu enviable à l'auteur et à son protégé...

    Voilà un roman destiné à la jeunesse réussi. Claire Gratias signe un suspense savamment entretenu, se fondant sur l'ambiance glauque d'une bâtisse recélant des ombres inquiétantes. Les divers protagonistes sont attachants, humainement campés, et dans ce décor d'été poisseux qui n'attend qu'une pluie salvatrice, la langue de l'écrivaine convient parfaitement. Les chapitres s'enchaînent, l'atmosphère se met lentement en place, et on bascule par paliers successifs vers le drame. Comme le laisse augurer l'épigraphe issue du roman Le passager de la pluie de Sébastien Japrisot, le sang se mettra à couler en même temps que la pluie. Il y a une très intéressante mise en abîme du métier d'écrivain, une sorte d'histoire-miroir pour laquelle il faudra attendre les ultimes pages du roman pour en saisir toute la dimension. A cet égard, il faut remarquer que le rythme du récit, assez lent, pourra rebuter le lecteur : les scènes se côtoient, glissent au gré d'une histoire qui semble ne pas réussir à se développer ou à entrer dans le vif du sujet, mais c'est sans compter sur le dernier rebondissement orchestré par Claire Gratias ; à l'instar de Bienvenue à Murderland de Frédérique Molay, c'est l'épilogue qui constitue la clef de voûte de cette œuvre atypique, obligeant le lecteur à se remémorer l'ensemble de la structure du roman pour mieux en saisir la subtilité et le sens.

    Le passager de l'orage pourrait, même abusivement, se résumer sous la forme d'une attente, voire d'une patience : il faut attendre sa toute fin pour comprendre où voulait en venir Claire Gratias. Si la chute est brillante, il est cependant à craindre que certains lecteurs, principalement des jeunes, trouveront le flot un peu léthargique. Un peu plus de nervosité ou de noirceur aurait peut-être été préférable, ce qui n'empêchera pas de reconnaître à cet ouvrage de nombreuses qualités.

    /5