La Médium

(The Summoning)

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  • 7/10 Le quotidien d'une fausse médium bascule lorsque ses séances de spiritisme commencent à devenir dangereusement réelles. Le scénariste J. P. Smith livre un thriller psychologique hitchcockien aux frontières du paranormal.

    Depuis qu'elle a perdu son mari dans les attentats du 11-Septembre, Kit Capriol se sent proche des morts, comme si elle n'était séparée d'eux que par un infime voile. Pourtant, elle n'entre pas réellement en contact avec eux, contrairement à ce qu'elle affirme à ses clients. Elle qui est comédienne n'a aucun mal à se glisser dans ce rôle de médium qu'elle s'est inventée pour tenter de joindre les deux bouts.
    Car courir les castings entre deux cours de théâtre dans l'espoir de décrocher un nouveau rôle ne suffit plus à payer son loyer à Manhattan et, surtout, à régler les factures d'hôpital de sa fille Zooey, tombée dans le coma quatre ans plus tôt en étant témoin d'un accident tragique dans le métro.
    Mais le bouche-à-oreille de ses clients satisfaits a fini par alerter le service de répression des fraudes de la police. L'inspecteur Tony Cabrini va tenter de la prendre en flagrant délit, en soudoyant une vieille femme pour qu'elle vienne consulter Kit à propos d'un défunt imaginaire. Pas évident, car Kit est maline : la première consultation est gratuite, et pour les suivantes elle n'accepte que les dons déposés dans une corbeille. Pas d'échange d'argent de main à main. Par contre, ce qu'elle n'avait pas prévu, c'est que la séance de spiritisme fonctionne : Kit sent une réelle présence et entend la voix d'une femme qui semble vouloir l'avertir d'un danger...

    Si le lecteur ressent de la sympathie et de l'empathie pour Kit, c'est parce qu'elle est marquée par le deuil et la solitude, une solitude que ni l'alcool ni les rencontres d'un soir ne comblent. « Parce qu'elle avait appris que vivre seule - être seule - était presque aussi dur que la mort de Peter. Un adieu qui n'en finissait pas. » De plus, ses séances de spiritisme, si elles reposent sur une arnaque, sont aussi - et surtout ? - pour elle l'occasion d'apporter du réconfort aux famille des défunts, de leur rappeler que les personnes aimées continueront à exister à travers leurs souvenirs. « Ceux que nous aimons sont autour de nous. Ils ne nous quittent jamais. Nous devons nous souvenir et croire. C'est ce qui les attire vers nous. La fidélité et la mémoire. » Un mantra qu'elle répète à ses clients - peut-être qu'elle-même aurait aimé l'entendre dans les moments les plus difficiles - et dont elle a fini par se convaincre.

    Lorsque le paranormal va surgir dans sa vie et bousculer son quotidien, Kit baigne déjà dans un sentiment d'irréalité diffus mais troublant que J. P. Smith parvient parfaitement à retranscrire, et dans lequel il immerge le lecteur dès les premières lignes : « Je réunis quelques informations sur les défunts et j'improvise. Et la plupart du temps, les gens me croient. Parce que c'est ce qu'ils veulent entendre. Sauf qu'il s'est passé quelque chose. Maintenant je communique vraiment avec les morts. Et je pense qu'ils sont en train d'envahir ma vie. » Kit est réveillée la nuit à heures fixes, entend quelqu'un jouer sur le piano qui est pourtant resté fermé depuis que sa fille est à l'hôpital. Tout en croyant devenir folle, elle tente désespérément de conserver un quotidien normal, entre les visites au chevet de Zooey et les castings. « Je galère depuis trop longtemps. Et je suis seule depuis presque autant de temps. Je tourne en rond et ce n'est pas bon pour la tête. » La rencontre un soir dans un bar de David Brier, un homme charmant qui lui plaît et lui explique que lui aussi a perdu sa femme quelques années plus tôt, va t-elle lui permettre de se raccrocher à une réalité qui, pourtant, semble se déliter peu à peu ? Mais qui est David ? Cherche t-il vraiment à l'aider ?

    Si, à travers le personnage de Kit, J. P. Smith parle du deuil et de la solitude qu'il peut entraîner, il parsème son texte de mystères et de faux-semblants et se joue avant tout magistralement du lecteur, qui ne sait plus qui croire et échafaude les hypothèses les plus folles. La citation de Sueurs froides de Hitchcock en exergue de son roman annonce la couleur et, du début à la fin, La Médium ne cesse de naviguer entre suspense psychologique, roman noir, surnaturel et thriller domestique, en évitant habilement les habituels travers de chaque genre. Et si la fin peut éventuellement déstabiliser les plus rationnels, voire dans une certaine mesure décevoir les autres avec une conclusion fataliste un peu moins fracassante que prévue, elle est pourtant parfaitement cohérente avec l'ensemble du texte. « Si on feuillette le livre des morts, on voit bien sur les photos qu'aucun d'entre eux n'est prêt. Ils sont tous au bord d'autre chose : ils font des projets, échafaudent des combines, espèrent, croisent les doigts. Sourient, agitent la main, sirotent un cocktail sur une plage appelée Paradis. Et puis un beau matin tout s'arrête. »
    Un thriller addictif et troublant qui sort des sentiers battus.

    13/05/2023 à 17:27 Norbert (308 votes, 6.9/10 de moyenne) 5