Et pour le pire

  1. Vengeance et rédemption

    Vincent Dolt, octogénaire, passe pour être un vieux con. Il le sait, il l’assume. Alcoolique, misanthrope, solitaire, il veut bien confesser tous les défauts du monde, sauf aux curés qu’il déteste également. Mais le malheureux a pour lui des circonstances atténuantes : son épouse, Bénédicte, a été violée, torturée puis tuée par trois sauvages. Son calvaire aura duré dix-huit heures. Celui de Vincent vingt ans. Bientôt, les trois bourreaux de l’amour de sa vie vont enfin sortir de prison. Vincent est résolu à les assassiner, mais si la vengeance est un plat qui se mange froid, certains ingrédients, inattendus et épicés, peuvent venir contrarier la saveur d’un mets tant escompté…

    Dès l’entame, Noël Boudou frappe fort. Très fort. Au gré de ce récit à la première personne, on apprend à connaître Vincent, et surtout le drame que son épouse a subi. « Ligotée sur son lit de fortune, elle a servi pendant dix-huit heures, et à tour de rôle, de punching-ball, de poupée gonflable, de cendrier, de chiottes » : une véritable horreur, traumatisante, dont Vincent n’a jamais pu se remettre. Pendant la réclusion des monstres, il a patiemment songé aux représailles auxquelles il comptait bien se livrer, mais rien ne va se passer comme prévu. Ça commence par l’arrivée de voisins, France et Bao, accompagnés de leurs deux délicieux enfants, et cette exquise famille, celle que Vincent et Bénédicte n’ont pas eu la chance de concevoir, va éclairer l’existence d’une lumière nouvelle. Une chance de rédemption ? Peut-être… Entre Bao qui est bâti comme une montagne et qui maîtrise la boxe, et son épouse qui s’avère être policière, il se peut que la donne change. Noël Boudou fait preuve d’une belle maîtrise littéraire, alternant les moments d’un humour survolté et décomplexé, les scènes poignantes où son protagoniste se souvient des temps radieux avec sa femme, les réflexions intelligentes sur la vieillesse et les embêtements qui vont avec, mais aussi les passages violents et assez sanglants. Un cocktail habilement exécuté, qui jamais ne verse dans la gaudriole, le pathos, ni la surenchère d’hémoglobine. On rigole franchement lorsque notre vieil homme nous compte ses déboires liés à l’âge, on enrage lorsque l’on apprend les sévices qu’a endurés Bénédicte, on sourit d’empathie lorsque Vincent se civilise au contact de ses nouveaux voisins, on frémit quand tonnent les coups de feu ou claquent les crocs d’Omon, le mastiff tibétain que notre vengeur usé avait gardé pour dévorer les corps de ses cibles. Et au-delà de l’aspect policier de ce suspense, se posent de puissantes réflexions quant au sens de la justice individuelle, de la rédemption et de la justification du châtiment.

    Même si, çà et là, quelques poncifs viennent émailler ce récit, Noël Boudou nous gratifie d’un ouvrage décapant et mémorable, au scénario intelligemment construit et au déroulé parfaitement huilé. Un livre éclairé et éclairant, qu’il le soit par ses multiples lueurs d’humour, d’espoir, d’amour ou de ténèbres.

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