La Fille de nulle part

(The Far Cry)

  1. Le fantôme de Jenny Ames

    George Weaver est un agent immobilier que la vie a éprouvé. Difficultés de trésorerie, impasses professionnelles, et un mariage qui tourne désespérément en rond. Aussi, autant pour gagner un peu d’argent facile que pour rendre service à un ami, il accepte une mission : prendre des photographies d’un lieu où une jeune femme a été tuée huit ans plus tôt. Rapidement, George se prend de passion pour cette affaire, au point d’éprouver des sentiments pour la défunte, et cherche à mener l’enquête en solo. Mais il ignore encore à quel point cette énigme va le bouleverser…

    Fredric Brown signait en 1951 ce roman noir particulièrement saisissant. La langue de l’auteur est simple, les phrases élémentaires, et c’est pourtant avec grand intérêt que le lecteur suit la progression du héros. De prime abord oisif, fauché par une existence qui a perdu toute saveur, il en vient à se prendre d’une passion trouble pour la victime. La manière, à la fois primaire et cohérente, dont il parvient à remettre en place les pièces du puzzle quant à la défunte, son identité, ses origines et ce qui lui est arrivé, lui permet de reprendre goût à la vie. Certes, il y a des passages qui semblent un peu creux, ou tout du moins qui n’apportent pas de véritable progrès à l’investigation, et l’on en vient parfois à se demander où Fredric Brown veut bien en venir.
    Et arrive le final. Les deux dernières pages. Un véritable feu d’artifice, comme un incendie qui couvait derrière une porte close. Un accès qu’un détail dérisoire va ouvrir, pour envoyer des flammes vengeresses à la face de George Weaver comme à celle du lecteur. Un événement inattendu, impossible à deviner, et d’une efficacité remarquable. Un retournement de situation tellement incroyable, en deux temps, qu’il marquera probablement le lecteur un bon moment.

    Il aura fallu à Fredric Brown passer par le filtre d’un roman aux accents de faits divers, parfois lénitif, pour instaurer ce calme trompeur. Car quand survient le coup de théâtre final, il est d’autant plus incisif que rien, dans l’apparente banalité de l’histoire et des personnages qui la peuplent, ne nous y préparait. À n’en pas douter, cet ouvrage, méconnu, mérite très amplement d’être découvert.

    /5