Dehors les chiens

  1. Les fantômes de Providence

    1866. Alors que le soleil torréfie la Californie, Crimson Dyke, agent de l’United States Secret Service, parcourt les États de l’ouest à la recherche de faux-monnayeurs qu’il arrête. Il en vient à découvrir l’existence, par pur hasard, d’un cadavre éventré de manière barbare, avant de comprendre que le tueur n’en est pas à son coup d’essai. Dans un pays qui panse encore les plaies de la guerre civile, il va devoir affronter des spectres multiples et assoiffés de sang, de justice ou d’argent.

    Michaël Mention est un auteur remarquable qui semble s’épanouir en changeant constamment de registre. Depuis Le Rhume du pingouin en 2008, il a signé un thriller fantastique (Unter Blechkoller), des polars historiques (de La Voix secrète à sa trilogie anglaise), des opus proches du documentaire (Fils de Sam et Jeudi noir), un livre inspiré de la vie de Miles David (Manhattan chaos), ou encore une diatribe musclée contre l’industrie chimique (De Mort lente), et voilà qu’il nous revient, pour notre plus grand plaisir… avec un western. On est aussitôt happé par le style de l’auteur, si caractéristique, avec ses phrases sèches, l’utilisation d’onomatopées et de lettres capitales, et un ton empreint d’une grande puissance littéraire. Dans le même temps, le cadre est exploité à la perfection, avec ce Far West enténébré, violent comme aux âges primitifs, perclus de lésions après la guerre de Sécession, et encore en butte aux Indiens. Crimson Dyke, en enquêteur, se révèle instantanément intriguant et efficace, amplement capable de tenir la distance sur plusieurs ouvrages si l’écrivain décidait d’en faire le protagoniste d’une série. Le récit est jalonné de personnages remarquables de noirceur, depuis les terribles Seasons Brothers, quatre tueurs à gages redoutables, jusqu’à Benedict Ross, montagne de graisse et de machiavélisme. L’intrigue est également formidable, multipliant les fausses pistes jusqu’à sa résolution, mémorable et pourtant si évidente. Signalons aussi que Michaël Mention est tellement talentueux qu’il est capable d’insérer des références à la musique du vingtième siècle ou d’évoquer le trauma lié à l’oreille de Dyke alors que sous d’autres plumes, le résultat aurait tout bonnement été raté voire grotesque.

    Voilà un roman puisant son titre dans un extrait de la bible et qui, tour à tour, saisit, séduit, instruit, fait frissonner, émeut et, au final, remue autant les tripes que l’âme. Un excellent livre de la part de Michaël Mention, encore un de plus.

    /5