Les Naufragés de la discorde

(Preservation)

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  • 8/10 En 1797, le Sydney Cove, un bateau transportant de belles quantités de marchandises, s’échoue après quatre-vingt-onze jours de déplacement. Les naufragés vont parcourir des centaines de kilomètres dans des paysages australiens hostiles et peuplés d’autochtones pas nécessairement amicaux, et, des dix-sept membres de l’équipage, seuls trois seront finalement sauvés. Le problème, c’est que rapidement, les versions des rescapés présentent des divergences, voire des anomalies. Le lieutenant Joshua Grayling doit interroger ces hommes et comprendre ce que l’on cherche à lui dissimuler.

    Ce roman de Jock Serong est un petit bijou. Avec un style élégant et une langue collant avec merveille à l’époque des faits, l’auteur effectue, avec beaucoup de tact et d’intelligence, une relecture de cet authentique naufrage. C’est ainsi que, à travers les yeux de Joshua Grayling, on découvre le journal de bord de Clark, l’un des survivants, et ainsi le déroulé du périple marin, l’épisode en chaloupe et la longue traversée des terres hostiles, avec les efforts inouïs pour survivre, les tensions, les rencontres fâcheuses et heureuses, avec le sauvetage par un bateau de pêche. Néanmoins, quand les premières zones d’ombre, voire contradictions, naissent en comparant ces propos à ceux de Figge, marchand de thé, et Srinivas, lascar bengali, notre enquêteur comprend que la version officielle n’est pas la bonne. Le suspense est habilement mené, et Jock Serong, qui s’est solidement documenté sur ce fait divers ainsi que sur l’histoire de l’Australie et le monde de la navigation commerciale, maîtrise son sujet sans jamais rendre sa science pesante. L’écrivain mêle d’ailleurs plusieurs thématiques, du polar pur au récit d’aventures, en passant par des passages proches de la littérature blanche. Les personnages sont également très réussis, depuis Grayling en limier tenace et qui sera férocement affecté par cette histoire, jusqu’à son épouse Charlotte, sérieusement malade au début du roman (avec des meurtrissures étranges sur le corps, un énorme bubon dans le cou et une paralysie des jambes qui va en s’aggravant) avant que son salut n’arrive grâce à Figge lui-même. D’ailleurs, ce dernier, monstre retors et machiavélique, à l’identité douteuse et capable des pires atrocités, n’est pas sans rappeler Henry Drax, l’ignoble protagoniste de Dans les eaux du Grand Nord, d’Ian McGuire. Et au final, il n’y a peut-être qu’un seul point que l’on peut regretter : le fait de connaître si tôt le côté diabolique – donc criminel – de Figge, ce qui amenuise en partie le suspense.

    Un récit fort et palpitant, panachant les pires violences et de belles touches d’humanité. Rien que l’épilogue, en plusieurs temps, est un régal : sombre, inattendu et ouvert. En un seul roman, Jock Serong s’impose comme un nom à suivre de très près.

    22/07/2021 à 08:27 El Marco (3181 votes, 7.2/10 de moyenne) 4