Le sang ne suffit pas

(Blood Speeds the Traveler)

  1. La neige ne saurait rester blanche

    Crazy Jack Mountains, Virginie, 1748.
    Après avoir vu sa femme et son fils emportés par la diphtérie, Reathel a fui leur chalet et erre dans la montagne dans des conditions dantesques, avec pour seul compagnon un sinistre dogue offert par son frère. Frigorifié et affamé, il n’a d’autre solution que de tenter d’obtenir un peu de chaleur pour passer la nuit lorsqu’il aperçoit une cabane visiblement habitée. Seulement, l’homme ne veut pas le laisser entrer. Après un bref combat, Reathel entre dans le logis et tombe sur une femme sur le point d’accoucher. Elle-même a fui car les hommes de son village ont promis son enfant à venir aux terribles Indiens Shawnees en signe d’apaisement.

    Les lecteurs français avaient pu faire la découverte d’Alex Taylor en 2016, avec la parution dans feu la collection Néo Noir de Le Verger de marbre (Grand Prix du Roman noir étranger du Festival de Beaune en 2017). Il se déroulait plus près de nous et dans le Kentucky. Autre période, autre ambiance, pour ce western noir inédit en anglais pour l’heure, Gallmeister signant ici, grâce au remarquable travail d’Anatole Pons-Reumaux, la première publication mondiale de ce titre.
    On peut qualifier le roman de choral puisque l’on suit tantôt Reathel, tantôt d’autres personnages, principalement des habitants de Bannock, à la merci de la rudesse de l’hiver et de la menace des Shawnees.
    La langue, assez soutenue, est très belle et il n’est pas rare de découvrir un mot inconnu au détour d’une page. Les paysages des Crazy Jack Mountains sont aussi joliment donnés à voir.
    C’est à peu près les seules traces de beauté dans ce roman où la noirceur est très présente, que ce soit dans les comportements des personnages – égoïstes et irrécupérables pour la plupart –, dans les conditions climatiques mortifères ou même dans les rencontres inopinées avec la faune locale, tout aussi affamée que les humains, lesquels présentent donc un fort potentiel de protéines.
    Le sang ne suffit pas est en quelque sorte un roman où chacun essaie de survivre avant tout. Il est vrai que les conditions que traversent les protagonistes ne favorisent guère la confiance en l’autre et l’envie d'aider son prochain.
    Le suspense est présent du début à la fin et l’on se demande à plusieurs reprises comment tout cela va bien pouvoir se terminer, quand bien même la réponse semble assez inéluctable. Comme cela a commencé : par de la neige rougie. Si l’action est présente, les personnages sont parfois confrontés à des dilemmes intéressants et certaines questions qu’ils se posent en cours de route amènent à quelques réflexions fertiles.

    Différent de son précédent roman, Le sang ne suffit pas est un superbe western crépusculaire qui devrait ravir les amateurs du genre. Une belle réussite qui, comme Les Frères Sisters, pourrait faire l’objet d’une adaptation cinématographique mémorable.

    /5