Dans la gueule de l'ours

(Bearskin)

  1. Rick Morton n’est pas tout à fait mort

    En des temps pas si anciens, Rick Morton a œuvré pour un cartel de la drogue avant d’être piégé, d’assassiner le frère de l’un de ses pontes et de devoir se bâtir une nouvelle vie. Désormais, il se fait appeler Rice Moore et œuvre en tant que gardien de la réserve de Turk Mountain, en Virginie. Son quotidien, c’est principalement l’entretien de ruches et la surveillance des alentours, avec une nature sublime où gambadent des ours sauvages. Mais la découverte du cadavre de l’un de ces carnivores vient bouleverser son quotidien. Il se pourrait même que Rick Morton, son passé et ses compétences, en viennent à resurgir.

    Ce premier roman de James A. McLaughlin est une véritable réussite. Le lecteur est aussitôt saisi par la qualité de l’écriture, le style et l’apparente nonchalance du récit. L’auteur se plaît à nous conter les magnifiques panoramas des Appalaches, où Rice Moore vie en quasi autarcie, à part quelques bières éclusées au village voisin. Lentement, les rouages de la dégringolade se mettent en mouvement. Un cadavre d’ursidé – certains acheteurs étant particulièrement friands des pattes et des vésicules de ces animaux, un gang de bikers, des soupçons appuyés de trafics, des frères – les Stiller – qui sont à la fois bêtes et dangereux, et ce que Rice pensait éteint va se réveiller. On trouve dans ce bien bel opus une quantité de personnages profonds et d’une belle humanité, comme Sara Birkeland, une scientifique qui avait occupé le poste de notre héros avant d’être battue et violée par des inconnus, ou encore Dempsey Boger, en partie indien, qui vont venir en aide à Rice. L’intrigue construite par James A. McLaughlin est, somme toute, assez classique, mais elle maintient l’attention sans la moindre difficulté d’un bout à l’autre. Certains passages s’avèrent très forts, comme lorsque Rice, vêtu d’un ghillie de fortune, en vient à délaisser sa mue d’homme du vingt-et-unième siècle pour endosser l’identité d’un chasseur : un être se fondant parfaitement dans la nature, doté d’armes antédiluviennes mais diablement efficaces, autant un traqueur d’animaux que d’humains. Et c’est peut-être précisément lors de ces instants de grâce que James A. McLaughlin est encore le meilleur : il porte son personnage sur le seuil de la folie et de la schizophrénie, l’estomac vide et l’esprit en feu, parfois sujet à des hallucinations, au point que « Rice pressentit que son esprit battait de nouveau la campagne » en quête d’un adversaire à sa hauteur en la personne d’Alan Mirra.

    Un roman noir singulièrement séduisant, où James A. McLaughlin nous dépeint un écosystème à la fois mirifique et indompté dans lequel se débat un Rick Morton/Rice Moore qui brise la convention des protagonistes indestructibles. Un pur régal.

    /5