Champ de tir

(Parting Shot)

  1. « Je suis le taré qui a tué Sean » : c’est le tatouage sauvage que l’on retrouve dans le dos de Brian Gaffney lorsqu’il se présente au bureau de l’inspecteur Duckworth. Amnésique, encore dans le cirage, le jeune homme ne comprend pas ce qu’on lui a fait subir, ni même qui est ce prénommé Sean. Dans le même temps, le détective privé Cal Weaver doit assurer la protection de Jeremy Pilford, surnommé « Big Baby », autrefois soupçonné d’avoir écrasé une jeune femme avec une Porsche. Dans les deux cas, de sombres forces liées à l’autodéfense et une justice plus expéditive semblent être à l’œuvre, notamment via le site Internet « Just Deserve » où des anonymes prônent ce qui s’apparente à de la vengeance contre des individus ayant échappé à un système judiciaire jugé trop laxiste.

    Après sa trilogie Promise Falls, Linwood Barclay continue d’explorer cette ville de l’Etat de Washington en mettant de nouveau en scène Barry Duckworth et Cal Weaver, sans qu’il soit pour autant nécessaire d’avoir lu ces précédents opus. On y retrouve le style de l’auteur, riche, fort, avec des dialogues qui pétillent, des descriptions assez sèches, une psychologie singulière et une intrigue aux engrenages parfaitement huilés. Ici, deux histoires viennent coexister, au gré de chapitres qui alternent entre elles. Duckworth compose un policier assez usé, blasé, luttant contre l’embonpoint, encore auréolé de ce qu’il a récemment accompli pour la ville, qui n’a rien perdu de sa sagacité ni de sa pugnacité. Parallèlement, Weaver est un détective privé très observateur, encore rongé par le décès de son fils et de son épouse, et qui va, au contact du jeune Jeremy, découvrir que sa fibre paternelle, voire paternaliste, n’est pas morte en même temps que les membres de sa famille. Le scénario est remarquable de maîtrise, d’ingéniosité, avec d’excellents enchaînements et des retournements de situations inattendus et parfaitement pensés. On retiendra notamment quelques scènes, majeures et marquantes, comme la première apparition de Craig Pierce, émasculé et au visage ravagé par un chien à qui il avait été donné en pâture (une référence probablement directe à Mason Verger, le personnage que l’on découvre dans Hannibal de Thomas Harris), ou encore le final, fort, sombre et percutant.

    Un thriller prodigieux et mémorable, qui se paie également le luxe, en plus de proposer une intrigue crédible et puissante, de nous interroger sur le sens de la justice et la férocité au sein des familles.

    /5