L'Homme de la plaine du Nord

  1. Les démons du manoir

    La profileuse Hanah Baxter n’a guère le temps de souffler : à peine est-elle revenue à New York qu’une lettre anonyme l’incrimine comme étant responsable du meurtre de son mentor, Anton Vifkin, lui-même expert en criminologie. Il semblerait qu’un tueur à gage, décidé à en finir avec Hanah, soit à la manœuvre. Peu de temps après, un homme est massacré par des pitbulls dans le nord de la Belgique, près d’un manoir qui n’est pas inconnu de notre profileuse puisque résolument soudé à son propre passé.

    Ce quatrième et ultime volet de la série consacrée à Hanah Baxter séduit dès les premières pages. On y fait la rencontre d’un assassin froid et méthodique, aussi glacé que les balles de son fidèle PPK qu’il chemise d’or avec amour, et fermement décidé à en finir avec notre héroïne. Dans le même temps, c’est un personnage pour le moins étonnant : si Ernest Gare est un tueur déterminé et indifférent à l’identité de ses victimes, il partage sa propre personnalité avec Frida lorsqu’il devient transformiste et se travestit dans des cabarets pour chanter son répertoire de classiques de la chanson française. Sonja Delzongle plonge le lecteur dans une histoire sombre et acide, ou plus exactement des histoires tordues et sinistres, où s’entrecroisent des protagonistes pour le moins accidentés par l’existence. Jugez plutôt : Ernest dont la sœur, Cha, est morte tombée au fond d’un terril et dont l’esprit ne cesse de le hanter, le commissaire Peeters dont le fils s’est pendu adolescent, Ange qui occupe le manoir, dont le jeune frère est resté handicapé par une soi-disant chute dans les escaliers et dont la mère est devenue aliénée suite à cette catastrophe, etc. Et c’est peu dire que l’écrivaine, à la plume particulièrement noire et écharpée, ne nous préserve en rien de son imagination certes fertile mais ô combien atroce : des enfants martyrisés, des parties fines où participent des gosses et où sont exercées toutes les paraphilies, des combats de chiens et des chasses à l’homme, des tortures sans filtre, des décapitations, des automutilations. L’auteure du Hameau des purs ou encore du Dernier chant ne nous épargne rien, même s’il est indéniable que ces divers récits sont parfaitement maîtrisés et s’entrecroisent avec brio. Néanmoins, au-delà des nécessaires mises en garde à l’attention des âmes sensibles, son ouvrage, un pur brûlot de noirceur et de barbarie, souffre peut-être d’une sorte de surcharge littéraire, avec un peu trop d’intrigues et de cruautés, comme des individus peuvent être lestés d’une surcharge pondérale.

    Un livre incontestablement fort, puissant et marquant, à la rigueur trop surchargé pour plaire à tout le monde, mais dont la radicalité bouscule plus qu’elle ne séduit véritablement, et c’est en soi une vertu.

    /5