Manger Bambi

  1. De si ravissants appâts

    Elles sont trois adolescentes : Bambi, Leïla et Louna, trois amies que les contrecoups de la vie et la quête de l’argent ont soudées. Usant de leur physique avantageux, elles aguichent des hommes d’âge mûr dénichés sur des sites de rencontres pour les plumer sous la menace d’une arme à feu, leur laissant auparavant imaginer qu’elles seront offertes à leur libido. Si le stratagème est rôdé et la ténacité de ces escort-girls avérée, il se pourrait que des gravillons viennent enrayer le mécanisme. Peu importe : Bambi en veut tellement à l’existence qu’elle est prête à tout pour s’en sortir.

    Ce roman de Caroline de Mulder surprend dès les premières pages : l’écrivaine exploite à fond la carte de la crédibilité en prêtant à ses protagonistes des propos saturés de formules actuelles, d’argot de jeunes, de propos SMS. Le résultat est étonnant mais au final, l’ensemble gagne en vraisemblance à défaut de nous régaler de belles formules littéraires : il aurait en effet été assez curieux de lire des dialogues tombés d’ouvrages inscrits dans le romantisme triomphant. Ce trouble passé, Caroline de Mulder nous régale avec son récit fort et sans la moindre concession, nous donnant à voir de jolis leurres humains prendre au piège des individus au portefeuille souvent richement garni et prêt à tout pour jouer le rôle de « sugar daddies ». Le portrait de Bambi est particulièrement réussi : gamine bousillée par une enfance déstructurée, son père a précocement quitté le domicile familial sans donner de nouvelles depuis et sa mère s’adonne à la boisson au point d’être devenue une véritable épave. Ses amies ont également connu une sale trajectoire et la seule échappatoire à laquelle elles ont conjointement pensé est de détrousser des amateurs de chair fraîche – et jeune – puisque leurs moyens le leur permettent. Un scénario très simple qui est surtout un prétexte pour illustrer la sinistre décadence de ces mômes en pleine déchéance, graduellement tombées dans la délinquance sans même s’en rendre compte et que rien ni personne ne semble être à même de les ramener dans le droit chemin. Caroline de Mulder excelle dans le domaine de la noirceur sans pour autant plonger dans l’excès du voyeurisme ou de la dénonciation : elle expose les faits, les personnages ainsi que les motivations sans jamais justifier ces dernières. Une trame enténébrée, parfois sordide, où la perspective finale de passer la frontière offre un minimum d’espoir, même s’il n’est pas dit que nos ados y parviendront.

    Un authentique roman noir, sans rebondissement ni effets faciles, qui marquera durablement les esprits par sa forme comme par son sujet.

    /5