Sauvage

(The wild inside)

  1. Le goût (du sang) des autres

    Tracy Sue Petrikoff n’a que dix-sept ans mais déjà un fort caractère. Vivant dans l’Etat de l’Alaska en compagnie de son frère, Scott, et de son père, elle ne vit que pour la nature farouche qui l’entoure. Musher, elle a en outre hérité de sa défunte mère un don incroyable : connaître le passé d’un animal ou d’un être humain en gouttant un peu de son sang. Lorsque Tracy est agressée par un inconnu qu’elle pense avoir sévèrement blessé en retour, qu'elle découvre un sac à dos recélant plusieurs milliers de dollars, puis fait la connaissance d’un inconnu souhaitant travailler à la ferme familiale, les événements risquent de déraper.

    Avec ce premier ouvrage, Jamey Bradbury bouscule plus qu’elle ne séduit, car il ne s’agit pas là d’un énième livre sur la nature. Tout y est âpre, complexe, déroutant. D’ailleurs, la forme narrative épouse parfaitement le côté déstructuré du roman. Un passé et un présent qui s’entremêlent, pas de tirets cadratins pour les dialogues ni même de guillemets : un choix clairement choisi par l’écrivaine, mais qui surprendra certainement. Par la suite, Sauvage mélange avec intelligence littératures blanche et noire, avec de magnifiques moments d’émotion, de partages et de non-dits familiaux, de communions avec la faune, de déférence pour cet environnement neigeux, végétal et animal. On se plaît d’ailleurs à lire et relire certains passages, tant ils sont joliment tournés. L’intrigue demeure présente, tel un fil rouge, et l’on ne comprendra le lien entre Tom Hatch, l’agresseur de Tracy, et Jesse Goodwin, cet étranger venu travailler chez les Petrikoff, que dans les ultimes pages. Mais c’est avant tout une œuvre puissante et mémorable sur la Nature, souveraine, indomptable, féroce, et sur l’apprentissage. Celui de l’altérité, où Tracy comprendra l’originalité de son « talent » grâce à sa mère et à un tamia. De l’affection aux côtés de Jesse. De l’accord avec ses chiens de traineau dans cette course baptisée l’Iditarod. De l’indépendance, dans ses choix les plus extrêmes, avec ces dernières pages, incroyables, où la jeune femme fera un choix de vie à la fois définitif et mémorable.

    Un premier roman coup de poing, qui enchevêtre le blanc et le noir littéraires dans ce qu’ils ont de plus pur et ombrageux, et qui, malgré quelques longueurs parfois inutiles, offrira un dépaysement total, à la fois géographique et psychologique, à ses lecteurs.

    /5