Ceux que nous avons abandonnés

(Those We Left Behind )

  1. Les survivants

    Ciaran et son frère Thomas sont encore bien jeunes lorsqu’ils sont confiés aux Rolston, une famille d’accueil. Mais un jour, on retrouve le père mort, le crâne massacré par un presse-livres. Ciaran avoue être le coupable. Sept ans plus tard, Paula Cunningham, l’agent de probation de Ciaran, émet des doutes quant à ce qui s’est réellement passé, et contacte aussitôt Serena Flanagan, la policière qui avait enquêté à l’époque. Le passé n’a pas encore refermé ses plaies.

    Stuart Neville, à qui l’on doit des ouvrages majeurs comme Les Fantômes de Belfast ou Ratlines, s’essaie ici au roman noir, et c’est une réussite. Le style de l’auteur est une merveille : sombre, ténébreux, il se hisse sans mal à la dureté des propos, la tortuosité de l’histoire, les cicatrices demeurées béantes. Le livre s’avère relativement court, les chapitres sont véloces, et il n’y a pas un mot de trop au gré de ce récit prenant et poignant. Stuart Neville livre des portraits saisissants, particulièrement humains et touchants, sans le moindre pathos de mauvais goût ni effets faciles. Ciaran et Thomas, les deux frères, nouent une relation très tendue, équivoque, constituée de non-dits, de raideurs, de soumissions et de dominations étranges (la nature des rétorsions perpétrées par Thomas est affolante et mémorable), et il faudra attendre les ultimes chapitres pour en saisir toute la nébulosité et la complexité. Serena Flanagan, rescapée d’un cancer, ayant tant de mal à conjuguer ses vies personnelle et professionnelle, se montre également très crédible et lumineuse d’humanité, notamment lorsqu’elle apprend le cancer d’une proche dont le mari est atteint de la maladie d’Alzheimer. Elle verra également ressurgir à la surface du présent l’ambigu lien qu’elle a noué, presque inconsciemment, avec Ciaran, fait de silences, de désir et de transferts contradictoires.

    Un petit bijou de noirceur, tout en simplicité et en efficacité, bouleversant et nerveux, où la plume de Stuart Neville excelle sans jamais manifester le moindre signe d’effort. Tout y vient naturellement, avec une simplicité déconcertante, et parvient à se hisser au rang des meilleurs ouvrages du genre.

    /5