La Disparition d'Annie Thorne

(The Taking of Annie Thorne)

  1. Six pieds sous terre

    Adolescent, Joe Thorne a vécu une terrible épreuve : sa jeune sœur, Annie, a disparu avant de réapparaître quarante-huit heures plus tard. Nul ne sait exactement ce qui lui est arrivé, mais il a nettement senti que quelque chose en elle a changé. Désormais adulte, il revient à Arnhill, la ville de son enfance, pour y intégrer l’établissement où il va être professeur. L’occasion de retrouver de vieilles connaissances, mais également de tirer au clair certains mystères et régler des comptes avec le passé.

    De C. J. Tudor, on connaît déjà l’excellent Homme craie, et c’est avec le même plaisir que l’on se laisse envoûter par les pages de ce roman. D’entrée de jeu, le lecteur est propulsé dans le vif – voire le mort – du sujet : deux policiers pénétrant dans un pavillon où une femme s’est suicidée après avoir tué son fils. Le reste de l’ouvrage est à l’avenant : dense, fort et noir, comme un remarquable café au parfum entêtant et saturé de substances tonifiantes. On suit donc Joe Thorne, ancien joueur invétéré, criblé de dettes et à la forte claudication, revenir sur les lieux qui l’ont tant marqué lorsqu’il était plus jeune, tandis que les spectres de temps non révolus ressurgissent. Les amours éconduites, les amitiés artificielles et toxiques, les mensonges dissimulés. Avec son art consommé des dialogues qui claquent, C. J. Tudor n’a guère son pareil pour rendre ses protagonistes aussitôt crédibles, avec leur part d’humanité et leurs terribles zones d’ombre. Avec quelques habiles flashbacks, on revoit ce qui a eu lieu en 1992, au temps de la fausse innocence, des camaraderies trompeuses et des élans avortés du cœur. Car il serait bien trompeur de n’en rester qu’au résumé de la quatrième de couverture : l’intrigue est bien plus complexe et dédaléenne que cela. C’est ainsi que l’on retrouve, vingt-cinq ans plus tôt, Joe, Stephen Hurst, Christopher Manning, Marie Gibson et Nick Fletcher, en train de faire une découverte qui changera à jamais leurs existences et déviera mortellement la trajectoire de leurs vies. On se souviendra longtemps de cet épisode du passé, épisode détonant qui engendrera de puissantes impulsions de lâcheté, ainsi que de certains personnages, dont Gloria, terrible femme de main et recouvreuse de dettes, aussi attirante que venimeuse.

    La presse a parfois comparé C. J. Tudor à Stephen King. L’argument peut se comprendre, mais il n’en demeure pas moins que cette écrivaine a un talent fou pour bâtir des intrigues fortes et mémorables, servies par des réparties incisives. À tel point que même avec seulement deux livres traduits en français comme arguments, elle peut désormais s’affranchir de tout rapprochement littéraire pour être manifestement reconnue comme un auteur de très grande envergure.

    /5