La Vague

  1. Face à l’Everest liquide

    La Vague, c’est Teahupo’o, «le mur de crâne», la plus belle et la plus dangereuse de Tahiti. Elle fait venir des surfeurs du monde entier. Plus ou moins aguerris. Plus ou moins inconscients. Elle participe à faire vivre l’économie locale. Mais amène aussi de drôles d’énergumènes à la mentalité bien loin des traditions ancestrales.
    Hiro est l’un de ceux qui connaît le mieux la Vague, et la passe Hava’e est son terrain de jeu. Lorsqu’il voit débarquer Taj, un surfeur Hawaïen à l’arrogance exacerbée, il est pris d’un méchant pressentiment. Cet homme est mauvais.

    Les lecteurs de polar ont pu découvrir Ingrid Astier en 2010 avec la parution à la Série Noire de Quai des enfers. Son personnage principal en était la Seine, ses protagonistes les policiers de la brigade fluviale. Après deux autres opus parus dans la mythique collection de Gallimard, changement d’éditeur et de décor pour ce titre. L’auteur retrouve Aurélien Masson, désormais à la tête de la collection Equinox. Et si l’élément liquide occupe toujours une place centrale, direction les antipodes.
    Tahiti. Ses paysages luxuriants, ses lagons, ses vagues cristallines, ses vahinés, ses traditions séculaires. À l’écart des cartes postales, on croise aussi la pauvreté, le chômage, l’obésité, l’alcool, le paka (le cannabis insulaire). Et comme si ça ne suffisait pas, voici qu’arrive l’ice, cette drogue de synthèse qui fait des ravages au sein de la jeunesse îlienne.
    Il y a fort à parier qu’Ingrid Astier a passé un moment sur l’île tant tout semble véridique. Hormis l’intrigue elle-même, on se demande d’ailleurs quelle part de ce qu’elle décrit avec adresse est fictive. La narration est à la troisième personne mais grâce à l’alternance des personnages, elle donne à voir différents points de vue. L’arrivée de masses de touristes, surfeurs y compris, et les conséquences de la mondialisation sur la société tahitienne est semble-t-il assez effrayante. Les traditions se perdent et parmi les jeunes générations, certains se retrouvent déracinés sur leur propre sol.
    L’intrigue est passionnante bien que somme toute assez classique. Quelques rebondissements sont prévisibles, il est vrai, mais le grand soin apporté par l’auteur à l’écriture – y compris au choix des mots – et la profondeur de certains personnages font paraître ce bémol comme anecdotique. La belle Reva ; Birdy, devenu prisonnier de sa chaise roulante suite à un accident de surf ; Hiro, amoureux de son île, de la mer, de la nature et prêt à tout pour défendre ses proches, à commencer par Moea, sa sœur, et Tuhiti, son neveu. Autant de protagonistes qui ne laisseront sans doute pas indifférent.
    Enfin, bien que cela ne soit pas rédhibitoire, certains lecteurs peu au fait du vocabulaire du surf pourront peut-être déplorer l’absence d’un glossaire ou de notes de bas de page, qui auraient aussi pu faciliter la compréhension de quelques termes tahitiens inconnus dans l’Hexagone.

    D’une tonalité sombre mais rarement désespérant, La Vague est un très beau roman noir se déroulant dans un cadre paradisiaque peu fréquenté par les auteurs de polars. Ce voyage à Tahiti laissera assurément de bons souvenirs et donne envie de retrouver Ingrid Astier dans d’autres contrées.

    /5