Les Incurables

(The Incurables)

  1. Une histoire de fous

    Walter Freeman vit de sombres jours : on lui refuse de pratiquer la psychiatrie comme il l’entend, sa femme lui tourne le dos et son fils, décédé, lui manque énormément. Cet homme, qui s’estime visionnaire, utilise la lobotomie transorbitale : pour soigner les fous et leurs maux, enfonce la pointe d’un pic à glace sous l’œil en s’aidant d’un marteau. Freeman emmène avec lui Edgar Ruiz, le dernier patient qu’il a soigné, et commence à écumer les routes américaines. Jusqu’à arriver à Burnwood, Oklahoma. Pour le plus grand malheur de tous.

    Après Corrosion, c’est ici le deuxième roman de Jon Bassoff à être traduit en France, et ce n’est rien de dire que c’est un régal. Si Walter Freeman a réellement existé, cet ouvrage ne constitue nullement sa biographie. En fait, l’auteur va exploiter ce personnage et en faire sa marionnette littéraire. Particulièrement opiniâtre, homme de science persuadé de détenir au bout de son pic la panacée pour guérir bien des confusions mentales, le bon docteur anime des sentiments contraires chez le lecteur, entre volonté d’empathie pour cet homme brisé et écœurement par rapport à la technique médicale employée. Lui et son collaborateur vont alors arriver à Burnwood et découvrir quelques individus inquiétants et croustillants. Scent, jeune prostituée qui tient à tout prix à quitter sa position, souvent horizontale. Sa mère, vêtue d’une robe de mariée en attendant le retour de son époux, ce dernier ayant participé à un braquage et connaissant l’emplacement du butin. Grady, Vlad et Kaz, trois terribles frères prompts à jouer de la lame et décidés à se venger. Durango, un garçon que son père, Douglas Stanton, considère comme le Messie… Une magnifique brochette de créatures singulières, et qui vont se montrer mortelles. Jon Bassoff a composé une intrigue riche, gravitant autour de personnages atypiques et fracturés, et ce n’est pas un secret de révéler que ces êtres vont se croiser, se télescoper et se désintégrer au gré du récit. De véritables instants de grâce baroque côtoient des moments de violence et de cruauté, et jamais le soufflet ne retombe, la tension allant même crescendo dans les ultimes chapitres où s’enchâssent rédemption, religion, quête mystique, ferveur collective, et expérience barbare de la lobotomie.

    Sur la quatrième de couverture, Ken Bruen qualifie ce livre de Vol au-dessus d’un nid de coucou réécrit par Elmore Leonard, et l’on ne peut qu’approuver une telle appréciation. Un incontestable festin de maux et de mots, pour une balade déjantée et bouleversante dans un patelin de l’Oklahoma que l’on n’est pas près d’oublier.

    /5