Power

  1. Michaël Mention sort les griffes

    1965.
    Les États-Unis sont en ébullition. Les GI sont de plus en plus nombreux à laisser leur vie au Vietnam et la population est de plus en plus réticente à voir ce conflit se poursuivre. Les manifestations se succèdent et prennent toujours plus d’ampleur.
    Les Afro-Américains, las de se voir discriminés sans cesse, décident eux aussi d’enclencher la seconde. Sauf qu’après l’assassinat de Malcolm X, en février, deux camps se distinguent. Ceux qui prônent la défense de leurs droits par tous les moyens, et les partisans de la non-violence prônée par Martin Luther King.
    C’est dans ce contexte que Bobby Seale et Huey P. Newton créent le Black Panther Party for Self-Defense autour duquel gravitent les personnages de ce roman.

    On avait déjà pu s’en apercevoir en lisant sa trilogie anglaise, et plus encore dans Fils de Sam et Jeudi noir : Michaël Mention aime l’histoire. Plus encore, il aime ancrer fortement ses récits dans un contexte, dans une époque. Disons-le tout de go : il aurait tort de s’en priver tant il le fait avec maestria. Des documentaires sur les Black Panthers, il y en a des cartons, surtout en langue anglaise. Des romans, déjà moins. Mais ce type d’ouvrage, qui mêle intelligemment événements historiques avérés et fiction, tout en restant crédible par rapport à la réalité, il y en a peu. C’est donc avec un mélange de curiosité et de plaisir qu’on dévore cet opus qui passionne tout en instruisant. Les personnages principaux sont intéressants et ajoutent à l’ouvrage une certaine tension bienvenue. En effet, il n’y a pas d’intrigue policière classique mais on tourne néanmoins fébrilement les pages pour savoir ce que vont devenir la jeune et candide Charlene ou le malheureux Tyrone. La première, à peine sortie de l’adolescence, s’engage dans la cause des Black Panthers avec toute son énergie juvénile. Le second, pour éviter la pire des condamnations, se voit contraint d’infiltrer l’organisation pour le compte du FBI. Équilibriste de tous les instants, sa vie est un enfer tant il ne doit jamais baisser la garde sous peine de se voir démasqué, et sans doute abattu.
    Interventions médiatiques, patrouilles de surveillance de la police, aide humanitaire comme ce programme « Free Breakfast for Children » consistant à nourrir les enfants des quartiers les plus défavorisés de San Francisco, poings gantés de Tommie Smith et John Carlos aux Jeux olympiques de Mexico... Au fil des pages, on suit la genèse du BPP, ses débats internes, son expansion, ses changements de cap et enfin, ses difficultés croissantes, grandement favorisées par les manœuvres de déstabilisation du FBI décidées en haut lieu.

    Passionnant du début à la fin tout en étant extrêmement riche d’un point de vue historique, culturel et même musical – comme souvent chez l’auteur – Power, récent lauréat du Prix Polars Pourpres 2018, est sans doute à ce jour le livre le plus abouti de Michaël Mention. Si vous aimez ce roman entremêlant habilement faits historiques et fiction, vous ne devriez pas être déçu par son nouvel opus, Manhattan Chaos (10/18) qui fait s’entrecroiser les meurtres de Son of Sam et la décrépitude de Miles Davis à l’été 1977.

    /5