Les Chemins de la haine

(Long Way Home)

  1. Première réussie pour Zigic & Ferreira

    Dans un jardin d’une banlieue anglaise comme il y en a de nombreux, un cabanon prend feu. Rien d’exceptionnel a priori. À ceci près que les pompiers y découvrent un corps calciné. L’état du cadavre rend l’identification extrêmement délicate mais la police soupçonne la victime d’être un travailleur immigré estonien. Et les propriétaires de l’abri de jardin ne le nient pas. En effet, ce Jaan Stepulov, signalé disparu, venait régulièrement squatter leur petit chalet pour y passer la nuit ce qui avait le don de les agacer. Ce qu’ils ne peuvent pas expliquer, en revanche, c’est pourquoi la victime a été enfermée dans le cabanon avant qu'on y mette volontairement le feu.

    Salué par la critique outre-Manche, ce premier roman d’Eva Dolan, qui a aussi trusté les sélections de prix hexagonaux et remporté le Grand Prix Policier des lectrices de Elle, est une excellente découverte. Critique de polars avant de se lancer elle-même dans l’écriture, l’auteure britannique sait quels sont les ingrédients qui font un bon roman policier. Mais connaître une recette ne fait pas de chaque cuisinier en herbe un grand chef étoilé. Il faut aussi du travail et du talent. Visiblement, Eva Dolan n’en manque pas tant le plaisir de lecture est grand et tant tout semble simple à la lecture de ces Chemins de la haine – c’est souvent la marque des grands.
    L’intrigue, qui connaît de multiples rebondissements, est très bonne. Mais ce roman ne se limite pas à cela, loin de là. Les personnages sont très bien campés, des protagonistes aux seconds (voire énièmes) couteaux. Surtout, le propos et le décor – ils vont ici de pair – sont très intéressants. Car ce à quoi les deux policiers qui enquêtent sur ce meurtre vont être confrontés, c’est à la pauvreté, au racisme, à l’exclusion, au travail clandestin et à la bêtise crasse. Non, nous ne sommes pas dans un pays du tiers-monde ou pendant la révolution industrielle mais bien en Angleterre, au 21e siècle. Et ça fait froid dans le dos tant ce monde hideux que nous donne à voir Eva Dolan semble bien trop réel.
    Cette enquête trouve une résonance particulière chez les deux inspecteurs, qui sont tous deux directement concernés par l’immigration à des degrés divers. Zigic est né en Angleterre mais est d’origine serbe. Quant au sergent Ferreira, elle est arrivée de son Portugal natal lorsqu’elle était enfant. Tous deux ne se sentent pas toujours pleinement anglais, et d’aucuns le leur font d’ailleurs bien sentir. Le sujet de l’appartenance à un pays, et plus largement de l’identité, est traité avec beaucoup de finesse par l’auteure et confère à ce roman, déjà passionnant par ailleurs, une grande profondeur.

    Au vu du titre ou du résumé, on aurait pu croire à un énième thriller ou roman de procédure à l’anglaise. Il n’en est rien. Les chemins de la haine tient davantage du roman noir social. Qui plus est, il est très bien construit et loin d'être bête. En attendant la suite – le cinquième titre paraîtra outre-Manche en février – les lecteurs convaincus pourront se plonger dans la deuxième enquête de Zigic & Ferreira, déjà disponible, Haine pour haine, ou dans un one shot annoncé par Liana Levi pour février, Les Oubliés de Londres.

    /5