Gangway

  1. Les fantômes de Gangway

    Alors qu’il est au volant de son véhicule, traquant un ennemi qui ne le devance que de peu, le détective privé Richard Gridden a un violent accident. Il se réveille sous le soleil de l’Arizona, à Gangway, un patelin étrange qui vit sous la coupe d’un shérif non moins étrange, Cole Willpot. Un être instable et inquiétant, qui n’est que le reflet des multiples anomalies du village. Gridden va l’apprendre à ses frais, pour un séjour de quatre jours dont il ne sortira pas indemne.

    Sébastien Bouchery signe ici un roman énigmatique, et qui conserve son aura de mystère jusque dans les ultimes paragraphes. D’entrée de jeu, l’auteur pose le décor : on se croirait dans un roman hard boiled dans ce qu’il peut avoir de plus typique. La canicule, le privé aux zones d’ombre, sa mystérieuse cible. Puis l’imprévu carambolage, et le livre dévie. Voilà Gridden dans un bled matraqué par la chaleur, sous le joug d’un shérif aussi bizarre que menaçant, capable des pires coups de sang comme d’user d’un langage châtié. Les us et coutumes de Gangway ne manqueront pas d’intriguer puis stupéfier l’hôte inopiné : un vieillard gentiment cinoque qui a pris la place du médecin, une façon de vivre proche de celle d’un lointain siècle, avec le bon vieux courrier papier comme seul moyen de communication, des piliers de bar prompts à utiliser poings et armes à feu, et où l’on peut « réparer » un viol contre quelques têtes de bétail… Un véritable ramassis de déviances et de singularités. Sébastien Bouchery tisse sa toile d’interrogations et d'arcanes, en plaçant au centre de cet échiquier un personnage de détective privé qui cache également de nombreux secrets, notamment quant à ses origines, ses qualités professionnelles, le maître-chanteur qui ne le lâche pas, ou encore les raisons pour lesquelles il poursuivait cet Albéric Britto. Car il a beau être courtisé par le tout-Hollywood, avoir parmi ses clients et amis Michael Keaton ou Martin Scorsese, il n’en demeure pas moins soucieux de conserver au frais certaines vérités embarrassantes. Au gré de ce livre, les références littéraires affluent, évidentes, appuyées, et toujours faites avec à la fois modestie et intelligence, comme Stephen King, Douglas Kennedy et son Cul-de-sac, ou encore certaines œuvres cinématographiques. Et c’est d’ailleurs dans le dénouement de cet opus inclassable que l’on obtient le plus beau des hommages de Sébastien Bouchery, avec une résolution qui va se faire à la fois dans le bruit, la fureur et l’horreur, mais aussi avec un surprenant accent d’optimisme, obligeant Gridden à reconsidérer tout ce qu’il aura vécu dans cette Géhenne de l’Arizona sous un angle nouveau. Mais ne gâchons pas le plaisir des futurs lecteurs en en disant plus, et conservons secret ce rebondissement, certes déjà employé par le passé en littérature et au cinéma, mais qui n’en conserve pas moins son extraordinaire pouvoir de surprise, surtout qu’il est ici orienté d’une belle manière, avec brio.

    Voilà un roman de deux cents pages fort original et percutant, provoquant troubles et vertiges, avant de livrer une ultime clef quant à sa résolution. Un sésame judicieusement choisi, et qui vient clore un ouvrage fort, dans le même temps qu’il ouvre la porte d’un bel exercice ingénieux.

    /5