Hével

  1. C'était les « événements »

    L'histoire débute en janvier 1958. Gus et André sont chauffeurs-livreurs. Le binôme parcourt les bourgades du Jura, gauloise au bec, à la recherche de taf, de plus en plus rare.
    Dans les rues, les inscriptions arabophobes répondent aux attaques des fellaghas de l'autre côté de la Méditerranée. Les communautés se crispent. Nos deux compères découvrent dans leur camion fatigué un clandestin. Le zig est du genre taiseux, et la police semble sur les dents. Serait-il la cause de tout ce chambard ?

    Ouvrir un roman de Patrick Pécherot, c'est avoir la certitude de lire un texte de qualité, sur le plan du style notamment. On sent dans ses écrits l'amour des mots, des expressions, de l'argot. C'est un plaisir que d'être immédiatement transporté dans les années 1950 à la force du vocabulaire choisi, ainsi que grâce au grand soin apporté à tous ces détails qui sentent bon un temps que les moins de soixante ans ne peuvent pas connaître : les marques disparues, les chansons dans le poste, les films avec Gabin et consorts, les publicités obsolètes, etc.
    Sans nous faire vivre l'enfer du djebel à l'instar du récent Tu dormiras quand tu seras mort de François Muratet, les « événements d'Algérie », comme on disait alors, occupent un place centrale dans l'intrigue. Les tensions communautaires sont fortes (d'ailleurs l'arabophobie d'alors n'est pas très éloignée de l'islamophobie actuelle) et la gestion de la crise algérienne s'invite dans toutes les conversations, de la haute jusqu'aux troquets et autres restos ouvriers.
    L'on pense un court instant – quelque peu déroutant – que Gus vouvoie le lecteur, avant de comprendre qu'il se confie à un écrivain venu l'interroger sur cette sombre histoire soixante ans plus tard. Hével, c'est cette confession que Gus prend un malin plaisir à faire durer.

    Hével, c'est fumée, buée, en hébreu. Hével, n'est ni blanc ni noir. Hével, c'est un beau roman gris, ou sépia, qui rappelle un peu L’Étranger de Camus et que ne renierait probablement pas Simenon. Sans avoir la puissance de Tranchecaille, voici une réussite de plus à mettre à l'actif de Patrick Pécherot.

    /5