Potions amères

  1. Les bourreaux de Béthune

    Tout commence avec un simple fait divers : par appât du gain, Denise Fachel, employée d’une herboristerie de Béthune, se fait dérober la cagnotte de la boutique à l’arrachée par Gilbert. Parce qu’ils craignent à présent la criminalité ambiante, Patrice et Germaine Ragonot, les propriétaires de l’officine, décident de conserver la caisse dans leur domicile. Le début d’une série de tragédies…

    On éprouve un immense plaisir à retrouver Patrick S. Vast, d’autant qu’il renoue ici avec ses premières amours littéraires. En effet, l’heureux lecteur qui a connu La Veuve de Béthune, Béthune, 2 minutes d’arrêt ou Boulogne stress reconnaîtra sans mal l’architecture de ces romans : une intrigue crédible, mettant en scène des personnages décrits en quelques habiles et véloces coups de plume, et un récit choral s’articulant autour de mécanismes habilement huilés qui vont lentement détruire tous les protagonistes. Ici, les individus sont nombreux et intéressants. Patrice et Germaine, possesseurs de l’herboristerie, lui effacé et soumis aux caprices de son épouse, elle vindicative et mégère jamais apprivoisée. Denise, leur employée, traumatisée par un veuvage accidentel, prête à croire au prochain grand amour. André Ansart, un représentant en produits bio, épris de Denise. Gilbert, mécanicien, prêt à tous les mauvais coups. Abdel Kadri, ancien codétenu de Gilbert, soucieux de récupérer sa compagne Sandra tombée dans les rets d’un proxénète, et qu’il pourra racheter à son souteneur contre dix mille euros. Caroline, une jeune handicapée mentale qui a cependant un habile sens esthétique et une conscience remarquable du temps. Ce qui rend le roman passionnant, ce sont ces interactions mises en œuvre par Patrick S. Vast : des chantages, des tentatives d’empoisonnement, des meurtres, des cadavres escamotés, des pressions par lettres anonymes, etc. Un véritable bouillonnement d’actes délétères, de méfaits toxiques. Chacun va tenter de survivre, lutter contre l’adversité, protéger ses acquis voire s’extraire de sa condition matérielle. Il n’y a pas véritablement de héros ou de antihéros, d’innocents ou de coupables : ce sont des grappes d’êtres humains, brisés par des ressorts et des mécanismes souvent dramatiques, parfois tragiques, qu’ils ont en partie contribués à créer et mettre en branle, et rares seront celles et ceux qui en sortiront indemnes. Une très adroite horlogerie du malheur.

    C’est donc avec un plaisir complet que l’on retrouve Patrick S. Vast, ici au meilleur de sa forme, avec ce scénario implacable et cette écriture si typique. Et le plaisir n’en est qu’accru puisqu’il signe avec cet opus, dont la dédicace est faite à Georges Simenon, Stanislas-André Steeman et André-Paul Duchâteau, la naissance d’une maison d’édition, le Chat moiré. On ne peut bien évidemment qu’applaudir une telle naissance et souhaiter d’autres grossesses littéraires après ce premier accouchement de grande qualité.

    /5