Version officielle

(The Great Forgetting)

  1. La possibilité d’une île

    Jack Felter, professeur d’histoire en lycée, revient à Franklin Mills, Ohio, car son père, un vétéran du Vietnam, sombre de plus en plus dans la démence. Il y retrouve Sam, son amour de jeunesse, dont le mari, Tony, a disparu. Jack accepte de l’aider, mais la seule personne qui semble pouvoir l’épauler dans ses recherches est Cole Monroe, un ado schizophrène qui est persuadé d’un immense complot. Et si, pour retrouver Tony, Jack allait devoir affronter l’un des plus grands complots de l’Histoire ? En sortira-t-il indemne ?

    Après L’Obsession, voici le deuxième ouvrage de James Renner, assurément un livre à ne pas mettre entre toutes les mains. Car il s’agit d’un immense délire littéraire, dont on a parfois bien du mal à cerner la part volontaire de fiction, voire de facticité, insufflée par l’auteur, et ce à quoi il peut éventuellement croire. Quatre cents pages qui galopent à toute allure, sans la moindre retenue, au gré d’une écriture particulièrement simple, presque élémentaire, avec un lot incroyable de rebondissements. Est-ce que vous croyez à la fluoration de l’eau pour abrutir les masses de consommateurs ? Aux chemtrails ? Aux dessins inscrits sur les affiches le long des routes pour indiquer des points névralgiques ? A l’hypothèse du temps fantôme, à cause de laquelle trois cents années auraient disparu ? A une conjuration mondialisée du Grand Oubli, rendant amnésiques les foules pour faire disparaître certains événements traumatisants ? Peut-être trouverez-vous cela même complètement aberrant, voire ridicule ? Et vous savez quoi ? James Renner a osé. Il a tissé une intrigue solide, nouée avec expertise, et semble prendre un plaisir consommé à tirer sur quelques-uns des brins de textile s’échappant de la pelote, nous entraînant avec lui sur les chemins audacieux du complotisme. Là où nombre d’auteurs, par fanatisme ou au contraire par retenue, se seraient lamentablement cassé la figure, James Renner, lui, y va franchement, mais toujours avec finesse, plus exactement en nous plongeant dans ce grand bain amniotique de la conspiration internationalisée, à faire passer les auteurs de la série X-Files pour d’aimables plaisantins à l’imagination étroite. Des personnages savoureux, tous dépeints de manière lapidaire, de Jack Felter à Cole Monroe en passant par le Capitaine (le père de Jack), Sam, ou encore ces étranges individus appelés Les Chiens. Une équipée sacrément échevelée, où le loufoque le dispute à la plus impitoyable des logiques, jusqu’à un épilogue dantesque, pour une réécriture particulièrement audacieuse d’un épisode traumatisant du cours de notre civilisation.

    Sur le fil ténu et mouvant qui sépare le guignolesque de la gravité, dans un périlleux exercice de fildefériste, James Renner se maintient à l’équilibre tout au long de ce roman ambitieux et clivant, que l’on adorera détester ou que l’on encensera pour son originalité stupéfiante. Mais pour notre part, c’est assurément une réussite !

    /5