Élastique Nègre

  1. Guadeloupe la noire

    Le corps d’une inconnue est retrouvé dans la mangrove, non loin d’une plage. Ce crime, au départ inexpliqué, va agiter la population locale et permettre à nombre de personnes, aux traits et activités variés, de s’exprimer.

    Stéphane Pair signe un roman qu’il sera difficile d’oublier. Ouvrage choral, il met tour à tour en scène des individus particulièrement différents, tous ayant plus ou moins gravité autour de la victime. Le gendarme Gardé, originaire de l’Hexagone en butte à une criminalité galopante. Aymé, un pêcheur à la retraite. « Vegeta », Aristide de son vrai prénom, un dealer. Tavares, un narcotrafiquant bahaméen. Jimmy, un gamin. Gina, sa sœur, une conteuse. Josette, quimboiseuse, c’est-à-dire pratiquant la sorcellerie. Lize, une étudiante américaine qui est la compagne de Tavares. Chacun, au gré des chapitres, viendra parler, expliquer sa vérité, décrire le contexte de la vie locale ainsi que l’envers du décor. Car Stéphane Pair, journaliste, n’envoie pas ici une carte postale faite de décors de rêve, de pastels et de clichés. Il y est question de magie, d’inceste, de pauvreté, tant pécuniaire qu’humaine, de familles déchirées, de trafic de drogue exploitant des moyens souvent fort ingénieux pour faire transiter la marchandise, de jeux de pouvoir. L’alternance pourra d’ailleurs déstabiliser les lecteurs plus habitués à une construction classique et qui pourraient éventuellement se perdre dans ce léger dédale. Mais là où l’auteur fait fort, plus qu’au niveau de l’intrigue, somme toute attendue, c’est au niveau de la forme : la langue qu’il emploie est absolument remarquable. Mêlant le langage habituel à des idiomatismes typiques de la Guadeloupe, toujours expliqués via des notes de bas de page, les registres que l’on pouvait s’attendre à trouver en fonction de l’éducation et des profils des personnages à des tournures particulièrement poétiques, la globalité de ce livre est une véritable éruption littéraire.

    Un ouvrage qui envoûte et séduit, même s’il peut surprendre par sa construction labyrinthique et son parler si riche. Un métissage qui saura néanmoins ensorceler au gré d’une petite musique noire, au sens littéraire du terme, qui n’est assurément pas une biguine.

    /5