Images fantômes

(Generation Loss)

  1. Mortelles photographies

    Quadragénaire, Cass Neary n’est plus que l’ombre d’elle-même. Ancienne artiste photographe, elle vivote jusqu’à ce que son agent, Phil Cohen, lui propose d’aller interviewer Aphrodite Kamestos sur son île du Maine. Quoique réticente au départ, Cass finit par accepter de se rendre sur ce bout de terre hostile où l’on ne cesse de compter des disparitions inquiétantes…

    Elizabeth Hand livre ici un roman d’une rare puissance évocatrice. Son écriture répond avec maestria au décor où elle emmène Cass : sombre, glauque, troublée, troublante. On est rapidement pris dans les tourments immobiles de cette contrée esseulée, vaincue par le froid, où domine une nature vengeresse, et qui semble dissimuler d’étranges mystères. Les personnages campés sont particulièrement croustillants. Cass a vu sa mère mourir sous ses yeux dans un accident de voiture, été la proie d’hallucinations, vécu un certain succès avant de subir les affres des excès de la drogue et de l’alcool ainsi qu’un viol avant de retomber dans l’anonymat. Ses clichés, sulfureux, ont constitué sa gloire, et c’est donc la raison pour laquelle elle accepte de rencontrer et de s’entretenir avec Aphrodite Kamestos, une septuagénaire aux yeux de Méduse, qui a su révolutionner la photographie avec sa touche et son talent si diaboliques et atypiques. Sur place, Cass va découvrir un territoire presque maudit, saturé de silences et d’agressivités à son égard, où a autrefois vécu une communauté hippie. Elizabeth Hand maîtrise l’art du dialogue, de la description angoissante des cadres naturels comme des attitudes comminatoires. Une sorte de microsociété dans ce Maine farouche, dont elle découvrira lentement les arcanes, entre symboles ésotériques, menaces plus ou moins larvées, quête artistique extrême et terribles secrets familiaux. Les quelque quatre-cents pages de cet ouvrage vont apprendre au lecteur à appréhender notre héroïne d’une manière qui ne va cesser d’évoluer, dévoilant ses faiblesses et son obstination après avoir dépeint une femme percluse de lézardes, has-been à la boussole embrouillée, et que cette traque de la vérité va peut-être mener sur les voies de la rédemption. Du strict point de vue policier, la résolution de l’intrigue n’intervient qu’assez tard, au point que l’on peut parfois se demander si les nappes de brouillard que tisse – très habilement – l’écrivaine ne sont pas parfois inutiles, mais il serait impertinent de bouder un tel plaisir de lecture.

    Une œuvre dense et ténébreuse, où les assertions à propos de l’art photographique et les atmosphères anxiogènes prennent parfois le pas sur l’énigme, mais qui n’en finit pas d’ensorceler jusqu’à ce que l’on connaisse l’identité et les motivations du tueur, déstabilisantes. Un grand moment de littérature noire.

    /5