Tambours de guerre

  1. Fluide bouillant

    Elona Adder, galeriste, vient de faire disparaître dans un incendie criminel une série de peintures. Ces toiles sont toutes l’œuvre de Zac Blasko et représentaient des tueurs en série, avec un pouvoir pictural d’attraction particulièrement puissant. La fille de la criminelle, Naomi, ignore encore que cet acte désespéré, peut-être symptomatique d’une volonté de rédemption, engage pour elle le début d’une longue descente aux enfers.

    De Serge Brussolo, on connaît déjà presque tout. Son impressionnante bibliographie, ses incroyables talents de conteur, la prolixité de ses histoires autant que le foisonnement des idées que l’on y trouve. Et ce n’est certainement pas ce roman – son dernier sorti – qui contredira ces évidences. La patte de l’auteur y est intacte, et immédiatement reconnaissable : la plume en furie, les malices qui fusent à chaque chapitre, voire chaque page, ses obsessions, et le caractère si particulier de ses intrigues. Zac Blasko, grâce à l’un de ses portraits, aurait réussi à priver son modèle Raven Connins de ses mortelles pulsions, quand celui-ci s’illustrait en conditionnant la chair de ses victimes dans des bocaux qu’il étiquetait, lui octroyant le sobriquet d’« Epicier de l’horreur ». Quand Raven apprend que la toile le croquant est réduite en cendres, il n’a qu’une envie : s’évader de sa prison et retrouver Zac pour qu’il le peigne de nouveau et le purge ainsi de ses mauvais penchants. Mais puisque l’on est chez Serge Brussolo, on se doute que l’histoire – déjà bien surprenante et atypique – ne saurait en rester là. Naomi a eu comme tuteur un vieux Japonais qui est décédé et était lui-même un bel artiste (clin d’œil : il a signé cet ouvrage Les Harponneurs d’étoiles, œuvre de devinez qui ?). Zac Blasko avait quant à lui un contrat : seulement trois représentations de ses toiles, après quoi elles échouaient à un mystérieux yakuza. Maintenant qu’elles sont toutes brûlées, ce mafieux de l’ombre a du travail à confier à l’artiste, en guise de dédommagement imposé. Raven, pour s’enfuir, peut compter sur l’aide d’un personnel du pénitencier, mais il ignore encore que ce dernier est en cheville avec Joan, une experte en informatique… qui est également sa plus grande fan. Ajoutez à cela d’étranges bongos aux pouvoirs inexpliqués, un tableau qui a « déteint » sur le ventre d’Elona et que les yakuzas veulent à tout prix récupérer, une ancienne base militaire officiellement désaffectée, un policier aux graves problèmes de santé et particulièrement pugnace, sans compter une bonne dose de paranoïa et vous aurez une idée de la densité de ce récit. Comme d’habitude, avec Serge Brussolo, on ne peut pas s’ennuyer : il nous présente constamment la copie de l’excellent élève, abondante en idées et particulièrement appliquée dans leur traitement. Certes, l’intrigue s’effiloche un peu vers le derniers tiers du roman, mais il n’était guère possible que le rythme imposé d’entrée de jeu – celui du cent mètres – puisse tenir tout au long de ce marathon littéraire.

    Pour ceux qui ne connaîtraient pas l’univers si singulier de Serge Brussolo, voilà l’une des nombreuses portes d’entrée pour y accéder. C’est déjanté, éblouissant et terriblement efficace. Et que dire de la longévité de son œuvre ? Avec L’Oiseau des tempêtes, Cheval rouge et Les Geôliers à paraître dans les mois à venir, il y a fort à parier que nous serons encore une fois fort nombreux à être présents lors de ces publications. De même qu’il y a toujours autant à miser que de nouveaux envoûtements seront également au rendez-vous.

    /5