La famille Mack s’est installée à Jacksonville, en Floride, et tient la casse automobile la plus importante de l’Etat. Easy, le père, gère la comptabilité. Junell, sa fille, intervient sur les routes lorsqu’il y a des accidents. Mister, le fils, s’occupe des machines à broyer les carcasses. Herman, jumeau de Mister, est un peu à part : rêveur, artiste à sa façon, il a conçu d’autres projets pour son existence. Le dernier en date ? Avaler, un morceau après l’autre, une Ford Maverick de 1971.
Harry Crews était l’un des auteurs américains les plus déjantés qui soient, s’attachant en priorité aux êtres faibles et contrefaits, aux oubliés de l’Amérique éternelle, aux freaks et autres laissés-pour-compte. Ce roman de 1972 ne déroge pas à la règle, et constitue même l’un des plus emblématiques de sa bibliographie. C’est donc l’histoire d’Herman Mack, le méditatif un peu corpulent, qui décide de manger l’un des fétiches américains par excellence, à savoir une voiture. Il trouve en Mr Edge, propriétaire de l’un des plus beaux hôtels de la ville, un partenaire et un sponsor, puisque les ingestions de chaque élément du véhicule, d’une demi-once chacun, ainsi que chaque expulsion de son organisme seront suivies en direct par une foule de curieux, et retransmises dans le monde entier, jusqu’au Japon. Des sentiments contraires s’y télescopent : la malsaine avidité des spectateurs, le sinistre appât du gain (même lorsque le système digestif d’Herman est martyrisé et en saigne), l’ivresse de l’audimat, la crainte d’Easy pour la vie de son fils, etc. Un véritable barnum s’organise dans la salle de bal où se tient l’événement, tandis que les divers protagonistes sont confrontés aux pires contradictions, au mépris des notions les plus élémentaires d’humanité, de dignité, et de bienséance. On retrouve ce goût consommé chez Harry Crews pour les individus torturés – au sens propre comme au sens figuré –, malmenés, au passé douloureux. Herman, fantaisiste figurant d’un spectacle qui va finir par le dépasser, et dont un épisode tragique de son enfance lui aura permis de sceller, bien malgré lui, d’étranges noces avec l’univers des carrosseries. Sa sœur, qui se donne à Joe, autre spécialiste des voitures fracassées. Mister, prêt à tout pour que sa famille continue de toucher les subsides de ce show incongru, quitte à en mourir. Mr Edge, Monsieur Loyal d’un cirque qui n’a que de l’indifférence pour la condition humaine et son intégrité, pourvu que pleuvent les dollars. Un maillage de personnages heurtés, victimes d’une vision si particulière de l’American way of life. Jusqu’à la nausée. Jusqu’au vomissement.
Assurément, l’un des œuvres les plus fortes d’Harry Crews. Un postulat de départ atypique, aussi détraqué que les plaies que l’auteur dépeint avec un cynisme jouissif et contagieux. Une pierre noire jetée dans le jardin de nos sociétés consuméristes et voyeuristes.
La famille Mack s’est installée à Jacksonville, en Floride, et tient la casse automobile la plus importante de l’Etat. Easy, le père, gère la comptabilité. Junell, sa fille, intervient sur les routes lorsqu’il y a des accidents. Mister, le fils, s’occupe des machines à broyer les carcasses. Herman, jumeau de Mister, est un peu à part : rêveur, artiste à sa façon, il a conçu d’autres projets pour son existence. Le dernier en date ? Avaler, un morceau après l’autre, une Ford Maverick de 1971.
Harry Crews était l’un des auteurs américains les plus déjantés qui soient, s’attachant en priorité aux êtres faibles et contrefaits, aux oubliés de l’Amérique éternelle, aux freaks et autres laissés-pour-compte. Ce roman de 1972 ne déroge pas à la règle, et constitue même l’un des plus emblématiques de sa bibliographie. C’est donc l’histoire d’Herman Mack, le méditatif un peu corpulent, qui décide de manger l’un des fétiches américains par excellence, à savoir une voiture. Il trouve en Mr Edge, propriétaire de l’un des plus beaux hôtels de la ville, un partenaire et un sponsor, puisque les ingestions de chaque élément du véhicule, d’une demi-once chacun, ainsi que chaque expulsion de son organisme seront suivies en direct par une foule de curieux, et retransmises dans le monde entier, jusqu’au Japon. Des sentiments contraires s’y télescopent : la malsaine avidité des spectateurs, le sinistre appât du gain (même lorsque le système digestif d’Herman est martyrisé et en saigne), l’ivresse de l’audimat, la crainte d’Easy pour la vie de son fils, etc. Un véritable barnum s’organise dans la salle de bal où se tient l’événement, tandis que les divers protagonistes sont confrontés aux pires contradictions, au mépris des notions les plus élémentaires d’humanité, de dignité, et de bienséance. On retrouve ce goût consommé chez Harry Crews pour les individus torturés – au sens propre comme au sens figuré –, malmenés, au passé douloureux. Herman, fantaisiste figurant d’un spectacle qui va finir par le dépasser, et dont un épisode tragique de son enfance lui aura permis de sceller, bien malgré lui, d’étranges noces avec l’univers des carrosseries. Sa sœur, qui se donne à Joe, autre spécialiste des voitures fracassées. Mister, prêt à tout pour que sa famille continue de toucher les subsides de ce show incongru, quitte à en mourir. Mr Edge, Monsieur Loyal d’un cirque qui n’a que de l’indifférence pour la condition humaine et son intégrité, pourvu que pleuvent les dollars. Un maillage de personnages heurtés, victimes d’une vision si particulière de l’American way of life. Jusqu’à la nausée. Jusqu’au vomissement.
Assurément, l’un des œuvres les plus fortes d’Harry Crews. Un postulat de départ atypique, aussi détraqué que les plaies que l’auteur dépeint avec un cynisme jouissif et contagieux. Une pierre noire jetée dans le jardin de nos sociétés consuméristes et voyeuristes.