Ville sans loi

Eliminatoires (Wild Town)

  1. Les mystères de l’Hôtel Hanlon

    David McKenna, surnommé « Bugs », à savoir « dingue, dérangé », vient d’arriver à Ragtown (« ville loqueteuse », une cité qui a poussé comme un champignon grâce aux forages de pétrole. Grâce à l’entremise de Lou Ford, l’adjoint au shérif, il devient détective privé à l’hôtel détenu par Mike Hanlon, un vieillard impotent qui a fait fortune dans les hydrocarbures. Cet homme a une femme, Joyce, qui semble avoir des envies de récupérer le magot de son infirme de mari. McKenna serait-il tombé dans un piège ?

    Jim Thompson, l’un des plus emblématiques auteurs de romans noirs, nous revient en France avec cet ouvrage datant de 1957. Et c’est un véritable régal, de bout en bout. On retrouve le goût consommé de l’auteur pour les personnages denses, décrits en peu de mots, aux contours flous et qui cachent, dans ces zones d’ombre, de curieux sentiments et des comportements dangereux. Mike Hanlon, ancêtre tassé dans un fauteuil roulant, craignant pour sa vie ainsi que pour la sécurité de son hôtel. McKenna, qui a déjà purgé de la prison, bloc de muscles et d’une violence à peine contenue, capable de coups de sang et, dans le même temps, prude et balbutiant lorsqu’il se retrouve avec une jolie femme. Lou Ford (le terrible agent découvert cinq ans plus tôt dans Le Démon dans ma peau et sa seconde traduction L’Assassin qui est en moi), habile manipulateur qui, malgré son allure anodine, n’en est pas moins un véritable squale humain ainsi qu’un individu prompt à la castagne. Et que dire de ces femmes, parfois fatales, belles à se damner, comme Joyce (la femme du propriétaire), Amy (la compagne de Lou qui n’en éprouve pas moins une forte inclination pour McKenna) ou Rosie, cette magnifique fleur où coule, en toute discrétion, du sang noir ? De ces pièces éparses, Jim Thompson constitue un puzzle flamboyant, sombre et torturé, où les coups bas ne manqueront pas : des empoisonnements, un suicide douteux, un vol de 5000 dollars, un chantage, des rapports de domination où un simple retour d’ascenseur peut conduire à la mort d’un être humain… Un opus enflammé qui se conclut à la manière d’un whodunit, où Lou Ford, « pour sûr », saura rétablir la vérité en une petite quinzaine de pages.

    Si ce roman n’a pas la puissance évocatrice du Démon dans ma peau ou de L’Assassin qui est en moi), il n’en demeure pas moins riche et terriblement efficace. Une pépite de ténèbres à redécouvrir d’urgence !

    /5