L'Ange déchu

Les Anges déchus (Fallen Angel, Mirage)

  1. La folle histoire de David Stillman

    David Stillman, trente-six ans, célibataire, expert commercial dans un building new-yorkais. Sa vie bascule en plusieurs étapes : quand il descend les marches de l’immeuble où il travaille, il fait la connaissance d’une ravissante inconnue qui disparaît aussitôt, avant de s’enfoncer vers des étages… qui n’existent pas. C’est également un dénommé Charles Calvin, travaillant pour la même compagnie où œuvre David, qui se suicide en se jetant du vingt-deuxième étage. Et si David était tout simplement en train de devenir fou, au sein d’une société pas très nette non plus ?

    Cet ouvrage de Howard Fast retient l’attention dès les premières pages. Datant de 1965, on se rend vite compte que l’écriture a vieilli, mais cette délicieuse touche surannée en vient presque à accroître la magie de la plume. On assiste à la lente déchéance de M. Stillman, sur qui le sort semble s’acharner : une mystérieuse femme qui semble en savoir beaucoup sur lui, des hommes dangereux qui le pourchassent, un détective privé qu’il engage mais qui en vient à douter de lui, un psychiatre qui met en relief une amnésie de trois ans chez notre héros, un suicide qui n’en est peut-être pas un, et un mystérieux brevet qu’il faut à tout prix récupérer. Les jalons de la normalité vont lentement s’abattre les uns après les autres pour notre protagoniste, au point qu’il va émettre de sérieux doutes quant à sa propre santé mentale. Complot ? Cauchemar ? Gigantesque farce ? D’autant qu’Howard Fast s’attarde avec bonheur sur certains travers de l’humanité, comme son indifférence à géométrie variable en fonction des individus concernés, sa course au profit, son péril d’autodestruction avec des armes sans cesse plus rugissantes et aberrantes, etc. L’écrivain, victime du maccarthysme et lauréat du Prix Staline international pour la paix en 1953 (devenu Prix Lénine après la déstalinisation, mais il y a tout de même des titres qui piquent sacrément les yeux en raison de leur nature oxymorique) lâche donc, en plein de beaux aphorismes, des sagaies intelligentes quant aux relations humaines et au sort du monde. L’intrigue, attirante, aboutit à une conclusion cohérente dans le dernier des vingt chapitres, mais qui n’étonnera cependant guère les amateurs éclairés de littérature policière. En revanche, c’est le côté satirique du contexte et agréablement désuet du style qui emportent l’adhésion du lecteur.

    Un ouvrage rare et précieux, intelligemment imaginé et construit, dont on aurait rêvé pouvoir en admirer une adaptation cinématographique, pour un exquis film noir à l’ancienne dont Hollywood avait le secret.

    /5